Conférence internationale « Le changement climatique, défi pour le droit constitutionnel et les cours constitutionnelles »

05/05/2023

M. Didier LINOTTE, Président du Tribunal Suprême, et M. Didier RIBES, son Vice-président, ont participé, à l’invitation de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, à la conférence internationale qu’elle a organisée à Berlin les 4 et 5 mai 2023. Réunissant les présidents des cours constitutionnelles d’Europe ainsi que ceux de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne, elle portait sur le thème : « le changement climatique, défi pour le droit constitutionnel et les cours constitutionnelles». Cette conférence a réuni 73 présidents, vice-présidents et juges constitutionnels de 36 pays.

Les cours constitutionnelles sont de plus en plus saisies de questions relatives au changement climatique par des requérants qui estiment que les Etats les protègent de manière inadéquate face aux effets de ce changement ou, au contraire, que les mesures qu’ils prennent pour le combattre portent une atteinte excessive aux droits et libertés.

Dans un arrêt rendu le 24 mars 2021, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a interprété la Constitution fédérale comme exigeant de la part du législateur « une préservation dans le temps de la liberté garantie par les droits fondamentaux et une répartition proportionnée des opportunités de liberté entre les générations ». La Cour a jugé que la Loi fondamentale impose à l’Etat « l’impératif de prendre soin des fondements naturels de la vie d’une manière qui permette de les léguer aux générations futures dans un état qui laisse à ces dernières un choix autre que celui de l’austérité radicale, si elles veulent continuer à préserver ces fondements ».

La conférence internationale était destinée à offrir une perspective comparative des expériences et réponses des cours constitutionnelles face à ce défi global.

La première session de travail était consacrée au recours aux cours constitutionnelles dans les litiges relatifs au climat. Elle portait plus particulièrement sur la délicate question de l’intérêt à agir et de l’exclusion de principe de l’actio popularis alors que les changements climatiques peuvent affecter l’ensemble des individus. Étaient en discussion la possibilité d’invoquer les droits des générations futures, la défense de la Nature ou de certaines de ses composantes, notamment animales, ainsi que la saisine des cours constitutionnelles européennes par des ressortissants de pays étrangers particulièrement affectés par le changement climatique.

Les intervenants étaient M. Koen LENAERTS, Président de la Cour de justice de l’Union européenne, M. François CHAIX, Vice-président du Tribunal fédéral Suisse, et Lord Nicholas HAMBLEN of KERSEY, Juge à la Cour suprême du Royaume-Uni.

La deuxième session avait pour thème : « Responsabilité constitutionnelle : causalité, devoirs de protection et libertés ». La lutte contre le changement climatique pose de manière cruciale la question des obligations positives des Etats comme dimensions des droits fondamentaux. La définition des devoirs de protection des Etats doit notamment intégrer les conséquences, pour certaines déjà irréversibles, du comportement humain sur le climat et la survenance de catastrophes naturelles. Elle doit également tenir compte du fait que la responsabilité du changement climatique, notamment par les émissions de gaz à effet de serre, est multiple et dépasse les frontières des Etats. Il importe de mesurer les effets des mesures de protection de l’environnement sur l’ensemble des libertés individuelles et domaines de l’activité humaine, tant aujourd’hui que dans le futur. A cet égard, il convient de se demander si la proportionnalité des atteintes aux droits fondamentaux ne doit pas prendre en compte la charge respective pour les générations actuelles et celles à venir. Telles étaient les questions qui ont été évoquées lors de cette deuxième session.

Les intervenants étaient Mme Verena MADNER, Vice-président de la Cour constitutionnelle d’Autrice, M. Matej ACCETTO, Président de la Cour constitutionnelle de Slovénie, et Mme Snježana Bagić, Vice-présidente de la Cour constitutionnelle de Croatie.

La session finale était relative au potentiel des cours constitutionnelles pour faire face au changement climatique, leurs possibilités et limitations dans le processus politique. Dès lors que les conséquences les plus drastiques du changement climatique vont affecter des personnes jeunes qui ne sont pas en âge de voter et d’autres qui ne sont pas encore nées, une telle situation confère-t-elle une responsabilité particulière aux cours constitutionnelles dans la sauvegarde de leurs droits et la prise en compte de leurs intérêts dans le processus de décision politique ? La lutte contre le changement climatique appelant des transformations profondes de nos sociétés, dans quelle mesure les cours constitutionnelles peuvent-elles y contribuer ? Les réponses à apporter à ces questions ont fait l’objet d’échanges nourris concernant la capacité des cours constitutionnelles à préciser la portée d’énoncés constitutionnels souvent peu développés en matière climatique, la justiciabilité des obligations constitutionnelles dans ce domaine, la disponibilité par les cours des informations scientifiques pertinentes et la légitimité des cours à intervenir dans la définition de décisions qui peuvent être impopulaires et qui incombent en principe aux pouvoirs législatif et exécutif.

Les intervenants étaient M. Laurent FABIUS, Président du Conseil constitutionnel français, Mme Dineke de GROOT, Présidente de la Cour suprême des Pays-Bas, et Mme Silvana SCIARRA, Présidente de la Cour constitutionnelle italienne.

Lorsqu’il a reçu les présidents des cours constitutionnelles au Château de Bellevue, le Président de la République fédérale d’Allemagne, M. Frank-Walter STEINMEIER, a souligné, dans son discours, tant la responsabilité singulière des juges constitutionnels que l’obligation de respecter leur indépendance et a exhorté tous les juges présents à faire la démonstration dans leurs pays respectifs de la garantie de la liberté par le droit, conformément à leurs valeurs communes et à une tradition juridique partagée.

 

© Cour constitutionnelle fédérale allemande / Bundesfoto / Kurc
© Présidence de la République fédérale d’Allemagne / Guido Bergmann