Le Tribunal Suprême

Attributions

La compétence du tribunal suprême est à la fois d’ordre administratif et constitutionnel. Elle est fixée par l’article 90 de la Constitution.

En matière constitutionnelle, le tribunal suprême statue sur les recours en annulation, en appréciation de validité et en indemnité ayant pour objet une atteinte aux droits et libertés constitutionnels, résultant principalement de la loi, savoir le texte législatif exprimant, aux termes de l’article 66 de la Constitution, l’accord des volontés du Prince et du Conseil National.

A ce sujet, deux particularités du droit public monégasque méritent d’être soulignées.

S’agissant, en premier lieu, du recours en indemnité, la Constitution a institué cette voie de droit très spécifique devant le tribunal suprême, en dérogation à l’article 3 du code de procédure civile selon lequel les actions en réparation dirigées contre les personnes publiques ressortissent à la compétence du juge de droit commun, lorsqu’il s’agit de réparer un préjudice résultant d’une loi déclarée non conforme à la Constitution (comme d’ailleurs d’un acte administratif illégal). Il doit, de plus, être souligné que l’article 90-A-2 employant l’expression « atteinte aux libertés et droits. », il n’est pas nécessaire qu’une loi ou un acte juridique soit en cause. Il suffit que l’atteinte résulte d’un acte matériel d’une autorité publique, c’est-à-dire d’une voie de fait. Ainsi, à Monaco, la réparation des dommages causés par une voie de fait ne relève pas, comme en France, du juge judiciaire mais du juge constitutionnel(1).

Pour ce qui est, en second lieu, du recours en appréciation de validité, il permet au justiciable d’user de l’exception d’inconstitutionnalité de la loi, procédure qui est loin d’exister dans tous les États de droit, le régime procédural étant identique à celui prévu pour les actes administratifs.

On notera enfin que le tribunal suprême est également compétent pour statuer sur la constitutionalité du règlement intérieur du Conseil National, les décisions les plus récentes en la matière ayant été rendues en 2015 et 2016(2).

En matière administrative, le tribunal suprême est appelé à statuer sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les Ordonnances Souveraines prises pour l’exécution des lois, ainsi que sur l’octroi des indemnités qui en résultent. En pratique, la majeure partie des décisions du tribunal sont rendues à la suite de tels recours.

Il a également compétence pour connaître

  • Des recours en cassation formés contre les décisions des juridictions administratives statuant en dernier ressort(3) ;
  • Des recours en interprétation et des recours en appréciation de validité des décisions des diverses autorités administratives et des Ordonnances Souveraines prises pour l’exécution des lois(4) ;
  • Des conflits de compétence juridictionnelle(5).

Enfin le président du tribunal suprême est « l’autorité juridictionnelle » visée par l’article 16 de la loi n° 1340 du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale, compétente pour autoriser le Ministre d’Etat à poursuivre certaines opérations de police administrative intéressant la sécurité nationale.

CONTRÔLE DES ACTES

En matière constitutionnelle, il peut être souligné que, sur la base textuelle de l’article 90 de la Constitution de 1962 qui mentionne, comme objet des recours, les atteintes « aux libertés et droits consacrés par le titre III de la Constitution», le tribunal exerce un contrôle de constitutionnalité étendu.

Il l’a par exemple démontré dans une décision rendue le 20 juin 1989, à la requête de l’association des propriétaires de Monaco le régime des loyers d’habitation des immeubles anciens. Le tribunal a jugé que l’exercice du droit de propriété (art. 24 de la Constitution) « doit être concilié avec les autres règles et principes constitutionnels applicables dans l’État monégasque ; qu’il en est ainsi des exigence particulières du territoire de l’État… »(6).

De même, dans une décision du 1er février 1994 rendue dans le même domaine, le tribunal évoque le « principe constitutionnel d’égalité de tous devant les charges publiques ». Cette décision a été commentée par le Doyen Georges Vedel qui a souligné que si le principe d’égalité devant la loi figure effectivement à l’article 17 de la Constitution monégasque, le principe d’égalité devant les charges publiques, même s’il en est dérivé, correspond à une création prétorienne du tribunal.

Enfin, depuis quelques années, à l’instar d’autres juridictions constitutionnelles, le tribunal suprême recourt fréquemment à la technique des « réserves d’interprétation » qui, sans annuler une loi, permet de garantir aux administrés qu’elle ne pourra pas être interprétée par les autorités publiques dans un sens incompatible avec la Constitution(7).

En matière administrative, le tribunal suprême apprécie la légalité des actes qui lui sont soumis sur la base de principes et au moyen de techniques comparables à celles utilisées par le juge français.

En ce qui concerne la légalité externe, il veille à ce que les décisions administratives soient prises par les autorités qui ont compétence pour le faire(8) et applique strictement la loi n° 1.312 de 2006 sur l’obligation de motiver certaines décisions individuelles dans le corps même de la décision(9) ; en ce qui concerne la légalité interne, comme le juge administratif français, il annule les décisions entachées d’erreur de fait, d’erreur de droit, d’inexacte qualification des faits et, dans les matières où la loi reconnaît à l’autorité administrative un large pouvoir d’appréciation (mesures de police, notamment), d’erreur manifeste d’appréciation.

En revanche, il advient que sa jurisprudence se distingue de celle des juridictions administratives du pays voisin, par exemple en matière d’altération de compétence liée à l’urgence(10) ou de contrôle des sanctions disciplinaires(11).

Enfin, depuis l’introduction de la Convention européenne des droits de l’homme dans l’ordre juridique monégasque en 2006, il faut souligner le nombre croissant des recours fondés sur la violation des stipulations de cette convention ou de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme par des décisions administratives(12).

(1) : V. TS 9 février 2009, dame M.F.
(2) : Décisions TS n° 2015-10 du 27 juillet 2015, n° 2016-04 du 14 janvier 2016 et n° 2016-09 du 25 mai 2016.
(3) : Le tribunal suprême n’a consacré l’existence de telles juridictions qu’à deux reprises, à propos de certaines sanctions disciplinaires infligées par des ordres professionnels (architectes : TS 6 décembre 2006, sieur F.N. ; pharmaciens : TS 17 mai 2010, sieur E.M.).
(4) : V. TS 13 juin 2002, sieur A.C. (première décision déclarant une décision illégale sur renvoi du juge de droit commun).
(5) : Le tribunal suprême n’a jamais été saisi d’un conflit de compétence juridictionnelle depuis l’entrée en vigueur de la Constitution de 1962. Il lui est cependant arrivé, en se déclarant incompétent, de désigner expressément au justiciable le juge compétent (V. TS 14 février 2017, SCI V.).
(6) : V. aussi TS 16 avril 2012, Association des propriétaires.
(7) : V. p. ex. TS 16 juin 2014, sieur J.-P. L. et la décision du 14 janvier 2016 sur le règlement intérieur du Conseil national
(8) : V. p. ex. TS 7 avril 2014, Syndicat V. J. et E.
(9) : V. TS 5 décembre 2007, sieur S.G
(10) : TS 4 décembre 1979 : Sieur René Stefanelli, note P. Weil et 19 mars 1979.
(11) : TS 25 novembre 2014, sieur G. D. F.
(12) : V. p. ex. TS 17 juin 2011, sieur T.M. Etant cependant rappelé que cette convention n’ayant pas valeur constitutionnelle, le tribunal suprême n’est pas compétent pour apprécier si une loi en a violé les stipulations (TS 4 octobre 2010, Ordre des avocats défenseurs et des avocats près la cour d’appel)