Le Tribunal Suprême
Le tribunal suprême de Monaco occupe historiquement une place importante car créé par la Constitution du 5 janvier 1911.
Grâce à cette Constitution, octroyée par le Prince Souverain Albert Ier et préparée par des juristes et internationalistes français célèbres (Louis Renault, André Weiss, Jules Roche), la Principauté devint une monarchie constitutionnelle effective(1). ElIe était fondée sur des principes démocratiques d’organisation des pouvoirs publics (existence d’une assemblée élue et d’un gouvernement, d’une municipalité, de cours et tribunaux indépendants) et consacrait, en son titre II, des libertés et des droits fondamentaux.
Afin de protéger et de garantir ces droits et libertés, elle instituait en outre une juridiction supérieure, le Tribunal Suprême, considérée comme la plus ancienne cour constitutionnelle du monde(2). Plus précisément, le titre Il de la Constitution, intitulé « Les droits publics », comprenait un article 14 ainsi rédigé : « Un tribunal suprême est institué pour statuer sur les recours ayant pour objet une atteinte aux droits et libertés consacrés par le présent titre ».
Selon l’article 58, le Tribunal Suprême comprenait cinq membres nommés par le Prince sur présentation du Conseil d’Etat (un siège), du Conseil National, savoir le parlement monégasque (un siège), de la Cour d’appel (deux sièges) et du Tribunal civil de première instance (un siège). L’organisation et le fonctionnement du Tribunal résultèrent d’une ordonnance du 21 avril 1911, énonçant, en son article premier, que le Tribunal «statue souverainement sur les recours ayant pour objet les atteintes aux droits et libertés consacrés par le titre Il de la loi constitutionnelle, qui ne rentrent pas dans la compétence des tribunaux ordinaires ». Le délai de recours était fixé à deux mois, « à partir du jour où a lieu le fait sur lequel il est fondé ou à partir du jour où ce fait a pu être connu de l’intéressé ». En raison de la guerre, la juridiction monégasque ne fut installée qu’en 1919. Le Tribunal rendit sa première décision le 3 avril 1925.
La nouvelle Constitution monégasque adoptée en 1962 confirme l’existence de droits et de libertés fondamentaux en ajoutant aux droits classiques du type de ceux consacrés en 1911 (liberté et sûreté individuelles ; légalité des crimes, des délits et des peines ; droit au respect de la vie privée et familiale et secret de la correspondance ; droit de propriété, abolition de la peine de mort) des droits économiques et sociaux dont la liberté d’association (article 30), le droit d’action syndicale (article 28), la liberté du travail (article 25) et le droit de grève (article 28).
Fort logiquement, elle confirme également en son article 90, l’institution du Tribunal Suprême. Des règles d’organisation et de fonctionnement plus élaborées sont fixées par une Ordonnance Souveraine n o 2.984 du 16 avril 1963 modifiée à plusieurs reprises(3) et en dernier lieu par l’Ordonnance Souveraine n° 5.371 du 19 juin 2015.
Depuis cette nouvelle Constitution de 1962, le Tribunal Suprême a rendu de nombreuses décisions en matière constitutionnelle. Celles-ci n’ont pas forcément été favorables à la puissance publique, de loin s’en faut. Au contraire, nombre d’annulations de dispositions législatives et d’actes administratifs, réglementaires ou individuels, ont été prononcées. Doit également être soulignée la brièveté des délais de jugement des affaires (en moyenne 10 mois(4)) qui, parmi d’autres éléments, contribuent à faire du Tribunal Suprême une juridiction tout à fait satisfaisante pour le justiciable.
Sa jurisprudence a considérablement contribué à la construction du droit public monégasque et, au-delà de l’aspect strictement juridique des différends, à l’amélioration du fonctionnement de l’administration monégasque et, plus largement, à la régulation des rapports économiques et sociaux, dans des domaines aussi sensibles, en Principauté, que les relations bailleurs-locataires, employeurs-salariés, le droit syndical, le droit de l’urbanisme, le droit de la fonction publique, les droits des étrangers…
L’augmentation du nombre de décisions rendues(5) atteste de la confiance que lui font les plaideurs.
(2) : Professeur Roland Drago : Le tribunal suprême de la Principauté de Monaco, in Revue de droit monégasque n° 0, 2000, pp. 29 et s. et Éloge du droit public, Discours à l’audience solennelle de la rentrée de la cour d’appel de Monaco du 1er octobre 1999. En termes d’ancienneté, on pourrait croire que la priorité revient à la cour suprême des États-Unis depuis la célèbre affaire Mabury c/ Madison jugée en 1803. Mais la cour suprême américaine ne peut apprécier la constitutionnalité d’une loi que par voie d’exception, dans le cadre d’un procès, alors qu’une juridiction constitutionnelle suprême au sens plein du terme, tel le tribunal suprême, peut de surcroît connaître de recours directement dirigés à l’encontre d’une loi et retirer ses dispositions inconstitutionnelles de l’ordonnancement juridique.
(3) : O. S. n° 3612 du 15 juillet 1966, n° 4653 du 9 février 1971, n° 6820 du 14 avril 1980.
(4) : V. Rapports de la Direction des services judiciaires lors des cérémonies de rentrée judiciaire.
(5) : par exemple, 20 décisions ont été rendues en 2014, contre 4 en 1992 (depuis plusieurs années, la moyenne est de l’ordre de 15 à 20 par an).