Décisions

27/11/1963

Décision Syndicat des Jeux, Cadres et Assimilés de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers à Monaco c/ Etat de Monaco

Tribunal Suprême

Monaco

27 novembre 1963

Syndicat des Jeux, Cadres et Assimilés de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers à Monaco.

Abstract

Compétence
Contentieux administratif – recours pour excès de pouvoirs – actes rattachés à la perception d’une imposition – actes ne présentant pas le caractère d’une décision administrative – incompétence du Tribunal Suprême.
Contentieux constitutionnel – caractère limitatif – dispositions constitutionnelles ne faisant pas partie du titre III de la Constitution – Incompétence du Tribunal Suprême.
Impôts et taxes
Égalité devant l’impôt – principe applicable à des contribuables se trouvant dans des situations identiques et assujetties pour les mêmes opérations à des impositions différentes.
Procédure devant le Tribunal Suprême
Requête collective – irrecevabilité – intérêts distincts des requérants.
Le Tribunal Suprême

Vu la requête en date du 9 mai 1963, présentée par le Syndicat des Jeux, Cadres et Assimilés de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers et de la Société civile Coopérative d’Investissements Immobiliers, tendant à l’annulation des actes relatifs aux impositions auxquelles ils ont été assujettis à raison de certaines opérations effectuées par eux entre le 1er juin 1958 et le 31 mai 1961, à la taxe sur les prestations de service, à la taxe locale et au droit de sortie compensateur, en exécution de deux contraintes décernées contre eux le 25 avril 1963 et qui leur ont été signifiées le 2 mai 1963 ;

Motif pris que lesdits actes sont anticonstitutionnels, contraires à l’ordre public, sans validité et entachés d’excès de pouvoir, que notamment, ils sont intervenus en violation de l’ article de la Constitution du 17 décembre 1962 , d’une part et d’autre part tant des articles et de la Constitution du 5 janvier 1911 que des articles , , , , , , et de la Constitution du 17 décembre 1962 ;

Vu la contre-requête du Ministre d’État et du Directeur des Services Fiscaux en date du 10 juillet 1963, tendant au rejet de la requête comme non fondée ;

Vu le mémoire en réplique présenté le 1er août 1963, pour les requérants et tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu l’ Ordonnance constitutionnelle du 17 décembre 1962 ;

Vu l’ Ordonnance du 16 avril 1963 sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu les Ordonnances Souveraines modifiées du 17 juillet 1944 concernant les taxes sur le chiffre d’affaires et du 24 décembre 1949 instituant un droit de sortie compensateur ;

Ouï M. Louis Pichat, membre du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Mes Lorenzi et Fourcade en leurs plaidoiries ;

Ouï M. le Procureur Général en ses conclusions ;

Considérant que les conclusions de la requête formée conjointement au nom du Syndicat des Jeux, Cadres et Assimilés de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers, ainsi que de la Société Civile Coopérative d’Investissements Immobiliers tendent à l’annulation des actes en vertu desquels les requérants ont été assujettis, à raison de certaines opérations effectuées par eux entre le 1er juin 1958 et le 31 mai 1961 à la taxe sur les prestations de service, à la taxe locale et au droit de sortie compensateur en vertu des Ordonnances Souveraines modifiées du 17 juillet 1944 concernant les taxes sur le chiffre d’affaires et du 24 décembre 1949, instituant un droit de sortie compensateur ;

Sur la recevabilité des requêtes :

Considérant que le Syndicat des Jeux, Cadres et Assimilés de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers à Monaco, d’une part, et d’autre part la Société Civile Coopérative d’Investissements Immobiliers, constituent des personnes morales de droit privé, distinctes ; que l’appréciation du bien-fondé des conclusions présentées conjointement, par elles, comporte nécessairement l’examen de l’intérêt particulier dont peut se prévaloir chacune de ces personnes morales ; que dans ces conditions, les requérants ayant des intérêts distincts, devaient former deux requêtes séparées ; que dès lors, la requête collective n’est recevable qu’en ce qui concerne le premier requérant dénommé, à savoir le Syndicat des Jeux, Cadres et Assimilés de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers ;

Sur la compétence :

Sur les conclusions tendant à l’annulation des contraintes :

Considérant, d’une part, que dans la mesure où la requête susvisée constitue opposition aux contraintes décernées en vue du recouvrement des impositions contestées et met en cause l’application des textes fiscaux sur lesquels ces impositions ont été établies, de telles conclusions présentent à juger des questions qui sont de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire en vertu des dispositions combinées des articles et de la loi du 29 avril 1828 sur l’enregistrement, le timbre, les droits de greffe et les hypothèques, de l’ article de l’Ordonnance du 19 mai 1909 portant modification du Code de procédure civile, de l’article 54 de l’Ordonnance précitée du 17 juillet 1944 et de l’article 17 de l’ordonnance précitée du 24 décembre 1949 ;

Considérant, d’autre part, que lesdites Ordonnances étaient en vigueur – et par suite applicables – au cours de la période où se sont produits les faits générateurs des impositions en cause ; qu’elles sont d’ailleurs demeurées en vigueur postérieurement au 13 octobre 1962, nonobstant la dénonciation à cette date des conventions fiscales franco-monégasques en vertu desquelles elles avaient été prises, dès l’instant où elles n’ont été abrogées ni explicitement, ni implicitement ; que dans ces conditions, c’est à bon droit qu’il a été fait application de ces textes aux impositions en cause ;

Considérant enfin, que les dispositions de l’ article de l’Ordonnance Constitutionnelle du 17 décembre 1962 , fixant la compétence du Tribunal Suprême et dont il convient de faire application à la date de la présente décision pour déterminer la compétence dudit Tribunal dans les litiges nés antérieurement à leur intervention et qui n’ont pas fait l’objet d’une décision de justice, n’ont pas modifié l’ordre de compétence établi en matière fiscale par les textes antérieurs précités ; qu’aux termes dudit article 90 B le Tribunal Suprême n’est, en effet, compétent en matière administrative que « sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les Ordonnances Souveraines prises pour l’exécution des lois, ainsi que sur l’octroi des indemnités qui en résultent » ; que les contraintes qui constituent des actes de poursuites rendus exécutoires par l’autorité judiciaire ne présentent pas le caractère de décisions administratives au sens de l’article 90 B précité ; qu’elles ne sont par suite pas susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal Suprême ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation des actes, autres que les contraintes, afférents aux impositions en cause :

Considérant que, dans la mesure où la requête tend à l’annulation d’autres actes que les contraintes précitées, les conclusions ainsi présentées ne sont pas de la compétence du Tribunal Suprême dès l’instant où ces actes – qui sont d’ailleurs insuffisamment précisés et ne sont pas joints à ladite requête – se rattachent à la perception des impositions contestées ; que le litige relève, sur ce point également, de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ;

Sur les conclusions tendant à ce que les impositions en cause soient déclarées contraires à la Constitution :

Considérant que dans la mesure où le syndicat requérant conteste devant le Tribunal Suprême les impositions auxquelles il a été assujetti, en se fondant sur des moyens tirés de ce que lesdites impositions auraient été établies en vertu de textes pris en violation de la Constitution, la requête tend à apprécier la validité de ces textes, et la compétence du Tribunal Suprême doit être déterminée et les moyens soulevés doivent être examinés au regard de l’article 90 A de l’ Ordonnance constitutionnelle du 17 décembre 1962 ; qu’aux termes de cette disposition : « En matière constitutionnelle, le Tribunal Suprême statue souverainement :°.…………. ; 2° sur les recours en annulation, en appréciation de validité et en indemnité ayant pour objet une atteinte aux libertés et droits consacrés par le Titre III de la Constitution et qui ne sont pas visés au paragraphe B du présent article » ; qu’il résulte de ces dispositions que le Tribunal Suprême n’est compétent, en matière constitutionnelle, que si les moyens invoqués visent les articles compris dans le Titre III de la Constitution et lorsque la requête ne relève pas de la compétence administrative attribuée à ce tribunal par le paragraphe B précité dudit article 90 ;

Sur le moyen tiré de la violation des articles , , , , , , et de la Constitution du 17 décembre 1962 :

Considérant que les articles dont s’agit ne font pas partie du Titre III de la Constitution ; que par suite, le Tribunal Suprême n’est pas compétent pour se prononcer sur le moyen ainsi soulevé ;

Sur le moyen tiré de la violation de l’ article de la Constitution du 17 décembre 1962 :

Considérant que ledit article, qui pose le principe de l’égalité des monégasques devant la loi, fait partie du Titre III de la Constitution ; qu’ainsi le Tribunal Suprême qui n’est pas compétent comme il a été dit ci-dessus pour statuer sur le recours dont il a été saisi en qualité de Juge de l’excès de pouvoir, est par contre, compétent en matière constitutionnelle pour en connaître ;

Au fond :

Considérant que le principe de l’égalité devant l’impôt qui résulte de l’article 17 précité et qui est invoqué par la requête, ne peut être utilement allégué qu’entre contribuables se trouvant dans des situations identiques et qui auraient été assujettis pour les mêmes opérations à des impositions différentes ;

Considérant que le syndicat requérant se borne à comparer sa situation fiscale au regard des impositions contestées aux situations fiscales hypothétiques dans lesquelles se seraient trouvés ses adhérents si ceux-ci avaient effectué, à titre individuel, les mêmes opérations en soutenant que lesdits adhérents n’auraient pas été soumis à ce titre aux mêmes impositions ; qu’un tel moyen ne vise pas des contribuables se trouvant dans des situations identiques et n’est assorti, au surplus, d’aucune précision permettant de comparer lesdites situations ; qu’ainsi le syndicat requérant n’est pas fondé, par ce moyen, à soutenir que les impositions contestées auraient été établies en violation de l’article 17 de la Constitution ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède :

D’une part que la requête doit être rejetée comme irrecevable en tant qu’elle émane de la Société Civile Coopérative d’Investissements Immobiliers ;

D’autre part que la requête doit être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître en ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des contraintes et des actes s’y rattachant ainsi que des conclusions tendant à ce qu’il soit déclaré que les impositions contestées ont été établies en violation des articles , , , , , , et de la Constitution du 17 décembre 1692 ;

Qu’enfin, ladite requête doit être rejetée comme non fondée en ce qui concerne les conclusions tendant à ce que soit déclaré que les impositions contestées ont été établies en violation de l’ article de la Constitution du 17 décembre 1962 ;

Sur les conclusions tendant à ce que soit ordonnée la restitution au syndicat requérant des consignations effectuées par lui :

Considérant que ces conclusions doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet des conclusions principales ;

NOTE

L’arrêt rendu le 27 novembre 1963 par le Tribunal Suprême de la Principauté est la première décision de cette Haute Juridiction depuis que la Constitution du 17 décembre 1962 a modifié et défini ses compétences en matière administrative et en matière constitutionnelle. L’articulation de ces deux contentieux soulève quelque difficulté que l’arrêt rapporté met en lumière.

II rappelle, en outre, le principe de l’irrecevabilité des requêtes collectives, règle de procédure non écrite qui mérite de retenir liminairement l’attention.

I. – Saisi d’une requête émanant de deux personnes morales distinctes de droit privé et qui tendait à faire annuler « comme anticonstitutionnels, contraires à l’ordre public, sans validité et constituant un excès de pouvoir, les impositions, réclamations, actes d’exécution, contraintes et commandements » dont les requérants étaient l’objet, le Tribunal suprême a dit que la requête n’était recevable qu’en ce qui concerne la première dénommée.

Pour en décider ainsi, le Tribunal a retenu « que l’appréciation du bien-fondé des conclusions présentées conjointement, par elles, comporte nécessairement l’examen de l’intérêt particulier dont peut se prévaloir chacune de ces personnes morales ; que dans ces conditions, les requérants ayant des intérêts distincts devaient former deux requêtes séparées… ».

Cette solution est conforme à la jurisprudence administrative française (Cf. Odent, Contentieux Administratif : Les Cours de Droit 1961-62, p. 580. – Auby et Drago, Traité de Contentieux Administratif, n0 1044. Heurté, Les requêtes collectives : Act. Jur. D. A. 1961, 1, 527 et les arrêts cités).

Celle-ci, il est vrai, tend à s’assouplir (Cf. Braibant, concl. sur Cons. d’État , Section , 8 janv. 1960 , Min. Ed. Nat. c. Borchu et autres : Act. Jur. D. A. 1960, II, n0 246), mais elle subordonne néanmoins strictement la recevabilité des requêtes collectives à la condition que leurs auteurs se trouvent dans des situations semblables et invoquent les mêmes moyens. En d’autres termes, elles doivent poser, pour l’ensemble des requérants – et des décisions attaquées -, les mêmes questions juridiques et ne pas conduire à l’examen de circonstances de fait ou de droit particulières à chacun des intéressés.

Ce sont ces règles mêmes dont le Tribunal suprême a fait, d’office, application à l’espèce, en raison du caractère d’ordre public qui s’y attache et ce, bien que l’Ordonnance Souveraine n. 2948 du 16 avril 1963 sur l’organisation et le fonctionnement de ce Haut Tribunal n’en fasse pas mention, non plus du reste qu’aucun autre texte. Mais elles se rattachent au principe général de droit selon lequel, si l’intérêt est la raison, il est aussi la mesure de l’action en justice.

On observera encore, que la prohibition des requêtes collectives s’étend au cas où un seul requérant dirige son recours contre plusieurs actes ou décisions. Il n’est pas possible, en principe, de soumettre au juge dans une même requête des litiges différents qui auraient dû donner lieu à des recours distincts.

Le recours ne sera donc déclaré recevable en son entier que s’il est dirigé contre les actes connexes, c’est-à-dire, des actes dont les effets se conjuguent pour produire le même grief invoqué par le requérant (Cons d’État 22 mars 1918, Truc : Rec. Lebon, p. 299). Lorsque, au contraire, les actes attaqués ne sont pas connexes, le recours n’est déclaré recevable qu’en ce qui concerne la première décision dénommée ( Cons. d’État 20 juin 1953 , Magron : Rec. Lebon, p. 309).

En l’espèce, il apparaît que le Tribunal suprême a fait une application libérale de cette règle en admettant la recevabilité de la requête en tant que dirigée contre les actes autres que la contrainte – et bien qu’il ait relevé que ces actes étaient insuffisamment précisés et n’étaient pas joints à ladite requête, ce qui peut être considéré comme un avertissement pour les requérants à venir – ou motif que ces actes se rattachaient tous à la perception des impositions contestées.

II. – En second lieu, l’arrêt du 27 novembre 1963 souligne la distinction qu’il convient désormais d’opérer strictement entre le contentieux constitutionnel et le contentieux administratif, en raison de la double compétence attribuée en ces matières au Tribunal Suprême par l’ article de l’Ordonnance Constitutionnelle du 17 décembre 1962 .

Les dispositions de ce texte tendent à éviter les difficultés d’application qui s’étaient fait jour sous l’empire du régime institué par l’Ordonnance Souveraine n0 1792 du 7 mai 1958 et qui n’avaient pas totalement disparu avec la loi n0 702 du 4 janvier 1961.

En son paragraphe A, l’article 90 prévoit que, siégeant en formation constitutionnelle, c’est-à-dire en assemblée plénière de cinq membres (Constitution, art. 91), le Tribunal Suprême statue souverainement sur les recours en annulation, en appréciation de validité et en indemnité ayant pour objet une atteinte aux libertés et droits consacrés par le Titre III de la Constitution et qui ne sont pas visés au paragraphe B dudit article. Celui-ci réserve en effet, à la connaissance du Tribunal Suprême siégeant cette fois en section administrative composée de trois membres seulement, tous les recours dirigés contre les décisions d’une autorité administrative ou contre les Ordonnances Souveraines prises pour l’exécution des lois.

Il résulte de ces dispositions que la compétence du Tribunal Suprême statuant en matière constitutionnelle se détermine en considération, d’une part, de la nature de la décision mise en cause et, d’autre part, des moyens invoqués à l’appui du recours.

La Haute Juridiction siégeant en matière constitutionnelle ne peut en aucun cas connaître de recours dirigés soit contre des décisions émanant des autorités administratives, soit contre des Ordonnances Souveraines prises pour l’exécution des lois. Il s’en suit que saisi d’un recours formé contre une telle décision ou Ordonnance Souveraine, le Tribunal Suprême statue toujours en matière administrative et n’est par suite, aucunement tenu de se constituer en assemblée plénière, même si le recours développe un moyen pris de la violation d’une disposition contenue dans le Titre III de la Constitution.

Ainsi, pour qu’une décision puisse faire l’objet d’un recours en matière constitutionnelle (art. 90-A), il faut qu’elle n’émane pas d’une autorité administrative ou ne soit pas une Ordonnance Souveraine prise pour l’exécution d’une loi et, aussi, qu’elle ne revête pas le caractère de décision juridictionnelle.

Mais en outre le Tribunal Suprême ne sera complètement saisi en cette matière que si le ou les moyens proposés à l’appui du recours visent la violation d’un droit ou d’une liberté fondamentale consacré par le Titre III de la Constitution. Il serait incompétent pour apprécier la constitutionnalité du texte ou de la décision déféré sur le fondement d’une disposition constitutionnelle autre que celles comprises dans les articles 17 à 32 inclusivement de la Constitution.

En résumé, la compétence du Tribunal suprême en matière constitutionnelle est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

La requête ne doit pas viser une décision d’une autorité – ou d’une juridiction – administrative ou une Ordonnance Souveraine prise pour l’exécution des lois ;

Elle doit être fondée sur des moyens pris de la violation des articles 17 à 32, inclusivement de la Constitution.

Au cas où l’une de ces deux conditions ferait défaut, le Tribunal suprême devrait constater son incompétence, au moins pour statuer en matière constitutionnelle.

Quant à sa compétence en matière administrative sur les recours autres que les recours en cassation, elle s’étend à la connaissance des requêtes dirigées contre « les décisions des diverses autorités administratives et les Ordonnances Souveraines prises pour l’exécution des lois, ainsi que sur l’octroi des indemnités qui en résultent » (art. 90-B), sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que le ou les moyens invoqués visent une disposition quelconque de la Constitution ou une illégalité tirée de la méconnaissance d’une loi, d’un règlement ou d’un principe général de droit.

En l’espèce, la question se posait de savoir si les contraintes décernées aux requérantes en vue du recouvrement des impositions contestées émanaient ou non d’une « autorité administrative ».

Constatant, au vu des textes fiscaux en vertu desquels elles avaient été délivrées, que ces contraintes constituaient « des actes de poursuites rendus exécutoires par l’autorité judiciaire », le Haut Tribunal a décidé qu’elles ne présentaient pas « le caractère de décisions administratives au sens de l’article 90-B précité » et que, par suite, elles n’étaient pas « susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le tribunal Suprême ». Cette solution appelle une double observation.

La première est que, à l’instar des juridictions supérieures françaises, le Tribunal Suprême prend en considération, non pas uniquement la qualité de l’autorité dont émane la décision attaquée – ainsi que le voudrait la lettre même de l’article 90-B qui reprend, sur ce point, les termes de l’ article de l’ordonnance du 31 juillet 1945 sur le Conseil d’État français -, mais la nature, administrative ou non, de ladite décision.

On sait, en effet, qu’en droit français, le caractère de décisions administratives est reconnu à des actes ou décisions de personnes physiques ou morales de droit privé [Cf. Waline, La notion d’acte administratif, in Rev. Dr. Publ. 1962, p. 721 s. et les arrêts cités). Inversement, nombre d’actes ou de décisions pris par des autorités administratives se voient dénier le caractère d’actes ou de décisions administratifs, notamment à raison de la nature privée du service en vue duquel ils sont pris, ou parce qu’ils présentent un caractère juridictionnel. Enfin, il convient de rappeler que toute décision de caractère indiscutablement administratif ne relève pas, pour autant, de la compétence du juge administratif. Il en va ainsi, en particulier, des actes non détachables d’une procédure judiciaire (Cf. Henry, concl. sur Cons. d’État , Section , 11 mai 1962 , Salan : Rec. Dr. Publ. 1962, p. 541 s.).

Ainsi, l’arrêt du 27 novembre 1963 peut, dans la mesure où il prend soin le relever la nature non administrative de la décision attaquée, faire présager une jurisprudence monégasque analogue à la jurisprudence française pour la détermination du champ d’application du contentieux administratif.

Mais, en outre, et c’est la deuxième observation que suggère à cet égard l’arrêt dont s’agit, le Tribunal Suprême a, pour décliner sa compétence sur le recours en annulation pour excès de pouvoir des contraintes dont il était saisi, retenu que lesdites contraintes avaient été rendues exécutoires par l’autorité judiciaire. Il a donc considéré que le contrôle judiciaire qui s’exerce sur un acte suffit à lui ôter son caractère d’acte administratif. Ce faisant, il a opté pour un critère purement formel et fait abstraction de la nature des impositions dont le recouvrement était poursuivi et de ce que leur contentieux était susceptible de relever de la juridiction administrative.

Cette décision s’écarte, pour partie, de la solution adoptée par le Conseil d’État français dans le dernier état de sa jurisprudence.

Sans doute, la Haute Assemblée décide-t-elle, en règle générale, que lorsqu’une activité s’exerce sous le contrôle de l’autorité judiciaire elle échappe par là-même à celui du juge administratif (Cf. Odent, op. cit., p. 295 s.). En particulier, les contestations nées de la délivrance d’un commandement, acte de poursuites judiciaires, étaient, récemment encore, renvoyées aux tribunaux judiciaires, quelle que soit la nature de la contestation ( Cons. d’État , Section , 23 janv. 1948 , Dlle Fromont : Rec. Lebon, p. 29. – 13 janv. 1950, Iris : Rec. Lebon, p. 20). Mais cette jurisprudence a évolué, d’abord dans le domaine fiscal, puis dans le contentieux général (Sur cette évolution, cf. Galabert et Gentot, Chronique générale de jurisprudence administrative française, in Act. Jur. D. A. 1962, p. 150).

Actuellement, et tout en persistant à refuser d’en prononcer l’annulation (qui ne peut l’être que par les tribunaux de l’ordre judiciaire), le Conseil d’État apprécie le bien-fondé – mais non la régularité formelle – d’un commandement lorsque celui-ci a été délivré pour le recouvrement d’une créance publique – fiscale ou non – dont le contentieux est administratif (Cons. État, Section, 13 janv. 1961, Magnier : Rev. Dr. Publ. 1961, p. 142, concl. Fournier. – 12 janv. 1962, De Massia : Rec. Lebon, p. 25. – 22 juin 1963, Ets Lambiotte Frères : Act. Jur. D. A. 1963, p. 552, concl. Braibant). Ce n’est donc plus d’après un critère purement organique ou formel que le Conseil d’État français détermine, en matière de recouvrement des créances publiques, la nature juridique d’un acte, mais du point de vue matériel, en fonction de l’objet de la contestation et de la nature de la créance.

Il serait toutefois prématuré de déduire du seul arrêt du 27 novembre 1963 que le Tribunal Suprême a entendu écarter définitivement un tel critère pour apprécier la nature, administrative ou non, de l’acte qui lui serait déféré.G. H. GEORGE,Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Décide :

Article 1er : La requête est rejetée comme irrecevable en tant qu’elle émane de la Société Coopérative d’Investissements Immobiliers ;

Article 2 : Les conclusions de la requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des contraintes et actes s’y rattachant sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

Article 3 : Les conclusions tendant à ce qu’il soit déclaré que les impositions contestées ont été établies en violation des articles 4, 37, 38, 39, 66, 68, 70 et 75 de la Constitution du 17 décembre 1962, sont rejetées comme n’étant pas susceptibles de recours devant le Tribunal Suprême ;

Article 4 : Les conclusions tendant à ce que soit déclaré que les impositions contestées ont été établies en violation de l’article 17 de la Constitution du 17 décembre 1962 sont rejetées comme non fondées ;

Article 5 : Les conclusions tendant à la restitution aux requérants des consignations effectuées par eux sont rejetées par voie de conséquence ;

Article 6 : Le Syndicat des Jeux, Cadres et Assimilés de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers est condamné aux dépens ;