Décisions

10/11/1992

Décision M. R. S, M. P., M. J. M. c/ l’Administrateur des Domaines

Tribunal Suprême

Monaco

10 novembre 1992

Sieur R. S.

Abstract

Compétence
Recours pour excès de pouvoir – Décision administrative susceptible de recours – Décision relative à l’exécution d’un contrat de droit privé – Décision à caractère pécuniaire – Décision indétachable de l’opération contractuelle – Irrecevabilité du recours – Rejet.
Responsabilité de la Puissance Publique
Recours en indemnité – (-) accessoire au recours pour excès de pouvoir – Rejet.
Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en section administrative,

Vu la requête présentée le 23 décembre 1991 par M. P., J.-M., R. S., tendant à l’annulation pour excès de pouvoir, sur le fondement de l’article 90 B 1 et III de la Constitution, d’une décision de l’Administrateur des Domaines du 24 septembre 1991, ensemble d’une décision de rejet le 23 octobre 1991 de son recours gracieux, et à l’allocation en conséquence de cette annulation d’une somme de 50 000 F.

Motifs pris de ce que :

– Par acte dressé le 7 août 1985 par Maître Rey, Notaire, l’Administrateur des Domaines de l’État a vendu à Monsieur S., un appartement pour le prix principal de 951 800 F ;

– qu’il était stipulé au dit acte que pour le cas où l’acquéreur, ses ayants droit et ses ayants cause désireraient vendre les portions d’immeuble, ils devraient en proposer l’acquisition en principe au Domaine de l’État qui disposera d’un délai de deux mois à compter de la date de réception de l’offre de vente pour faire connaître son intention de s’en porter ou non acquéreur, et pour le cas où serait exercé ce droit de rachat, il était précisé « que le prix serait calculé sur la base du prix de cession initial, réajusté en tenant compte de critères généraux (évolution de l’indice du coût de la construction) locaux (évolution du prix sur le marché immobilier) particuliers à l’immeuble et à son environnement et enfin propres à l’appartement lui-même (prise en considération d’une part des éventuelles améliorations apportées à ce dernier – à l’exception des travaux à caractère décoratif ou somptuaire, ou encore de stricte convenance personnelle, et d’autre part des dégradations subies ou de la vétusté) » ;

– que le prix de rachat devrait être fixé par la commission prévue à l’article 18 du règlement publié le 16 décembre 1977, et indiqué dans la notification prévue ;

Qu’ayant informé l’Administration des Domaines de son intention de vendre son appartement, il lui fut signifié par lettre du 24 septembre 1991 que l’État entendait exercer son droit de rachat pour un prix de 1 060 000 F ; tel que fixé par la Commission instituée par le règlement publié le 16 décembre 1977 ;

Qu’en réponse à un recours gracieux formé par lettre du 2 octobre 1991 estimant insuffisantes les propositions de l’Administration, l’Administrateur des Domaines l’informait par lettre du 23 octobre 1991 qu’il n’entendait pas revenir sur le prix fixé par la Commission chargée d’évaluer son appartement ;

Qu’en conséquence, compte tenu de la recevabilité de son recours, formé dans les délais, il y avait lieu de considérer la décision de rejet du 23 octobre 1991 comme un acte modificateur et par là-même détachable du contrat de vente du 7 août 1985 lequel acte avait fixé des modalités d’indemnisation différentes de celles fixées par l’article 17 du règlement publié le 16 décembre 1977, visé à l’acte du 7 août et qui lui faisaient grief ;

Alors que le prix de rachat aurait dû être calculé en application de l’article 17 du règlement susvisé en tenant compte de trois critères :

l’évolution de l’indice du coût de la construction ;

les facteurs locaux, le marché immobilier particulier à l’immeuble ;

les critères propres à l’immeuble (améliorations, dégradations ou vétusté) ;

Qu’indépendamment de ce que le résultat des travaux de la Commission n’avait pas été porté à sa connaissance, il s’agissait d’un acte détachable du contrat en cause, justifiant l’exercice d’un recours pour excès de pouvoir, et par suite l’annulation des actes attaqués, et l’allocation d’une indemnité de 50 000 F pour le retard apporté à la passation de l’acte et au paiement du prix de rachat ;

Vu la contre-requête déposée par son Excellence Monsieur le Ministre d’État le 21 février 1992 concluant au rejet de la requête ;

Pour les motifs, qu’en application des articles 90 B de la Constitution et 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1963 portant organisation judiciaire, le recours pour excès de pouvoir n’est pas recevable contre le contrat lui-même, ni à l’encontre comme c’est le cas en l’espèce, de mesures prises dans le cadre des rapports contractuels après la conclusion du contrat ;

Qu’il en est de même pour les recours contre les décisions à caractère pécuniaire, et qu’il s’ensuit que le Tribunal Suprême n’est pas compétent pour connaître du recours de Monsieur S. ;

Qu’enfin, et à titre subsidiaire, les critères de fixation du prix de rachat institués par le règlement relatif à la vente des appartements dépendant d’immeubles domaniaux ont bien été observés ;

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces produites au dossier ;

Vu l’ ordonnance constitutionnelle du 19 décembre 1962 en son article 90 B ;

Vu la loi n° 783 du 15 juillet 1965 portant organisation judiciaire ;

Vu l’ordonnance souveraine modifiée du 16 avril sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l’ordonnance en date du 2 octobre 1992 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a fixé au 9 novembre 1992 à 15 heures trente les jour et heure de l’audience du Tribunal Suprême siégeant en section administrative ;

Ouï M. Sadi Elie Fergani, membre du Tribunal Suprême en son rapport ;

Ouï Maître Etienne Leandri, avocat-défenseur et Maître Piwnica, avocat au conseil d’État, la Cour de Cassation Française, assisté de Maître Sanita, avocat-défenseur ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

Considérant que selon l’article 90 B de la Constitution, le Tribunal Suprême statue souverainement notamment en matière administrative :

sur les recours en annulation pour excès de pouvoir dirigés contre les décisions des diverses autorités administratives et les ordonnances souveraines prises pour l’exécution des lois, ainsi que sur l’octroi des indemnités qui en résultent ;

Que l’ article de la loi n° 783 du 15 juillet 1965 portant organisation judiciaire énonce que

Le Tribunal de Première Instance connaît encore comme juge de droit commun en matière administrative, en premier ressort de tous les litiges autres que ceux dont la connaissance est expressément attribuée par la Constitution ou la loi au Tribunal Suprême ou à une autre juridiction » ;

Qu’il résulte de la combinaison de ces textes que le Tribunal Suprême ne saurait connaître en matière administrative des recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre des décisions des autorités administratives relatives à l’exécution d’un contrat ;

Que s’agissant en l’espèce de l’exécution d’un contrat dont il n’est pas contesté qu’il était par nature de droit privé, seul le juge du contrat est compétent pour connaître de la réclamation du requérant, sauf le cas où le recours de celui-ci serait dirigé contre un acte de l’administration détachable de l’opération contractuelle initiale du 7 août 1985 ;

Considérant que dans les conditions particulières stipulées au dit contrat, étaient précisées les modalités selon lesquelles le prix de rachat par le Domaine de l’État serait calculé compte tenu des critères généraux qu’elles indiquaient, et que le prix du rachat a été fixé conformément aux stipulations contractuelles par la commission prévue à l’article 18 du règlement établi par la Direction de l’Habitat du Département des Finances et de l’Économie, relatif à la vente des appartements d’immeubles domaniaux, aux personnes de nationalité monégasque, publié au journal officiel de Monaco N° 6273, en date du 16 décembre 1977 ;

Que la référence à ce règlement public, faite par les clauses du contrat, n’a pu modifier la nature des rapports des parties ;

Que le rachat par l’administration des Domaines de l’État de l’appartement vendu à Monsieur S. constituait donc bien une mesure prise dans le cadre de l’exécution du contrat, et qu’un prix de rachat avait été proposé au requérant ;

Que de surcroît, la décision attaquée ayant un caractère pécuniaire, elle ne pouvait davantage faire l’objet d’un recours en annulation pour excès de pouvoir devant le Tribunal Suprême ;

Qu’ainsi, la décision attaquée formant avec l’ensemble de l’opération contractuelle un tout indivisible, elle ne saurait en être détachée pour faire l’objet d’un litige distinct de celui de l’opération elle-même ;

Qu’il s’ensuit qu’il échet de dire le Tribunal Suprême incompétent pour connaître du présent recours, et par voie de conséquence de rejeter la demande en indemnité qui en est l’accessoire ;

Décide :

Article 1er : – La requête est rejetée ;

Article 2e : – Les dépens sont mis à la charge de Monsieur S. ;

Article 3e : – Expédition de la présente décision sera transmise à Monsieur le Ministre d’État.