Décisions

28/06/2016

Décision S.C.S. PE. et Cie c/ État de Monaco

Tribunal Suprême

Monaco
28 juin 2016
S.C.S. PE et Cie
c/ État de Monaco

Abstract

Compétence
Contentieux administratif. Recours en annulation. Acte administratif individuel
Domaine
Domaine public. Convention d’occupation
Retrait de l’autorisation d’exercer une activité commerciale. Reconnaissance de la qualité de titulaire d’une convention d’occupation précaire du domaine public. Incompétence du tribunal Suprême
Recours en indemnisation
Préjudice causé par une décision administrative non annulée. Annulation de la décision administrative en raison du non-respect du dispositif procédural relatif au retrait d’autorisation d’exercice d’une activité économique. Préjudice allégué résultant du non renouvellement de la convention d’occupation du domaine public. Recours recevable (non)

Le Tribunal Suprême,

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière,

Vu la requête présentée par la S.C.S PE. & Cie, sur le fondement de la décision du Tribunal Suprême en date du 8 février 2010 qui annulé la décision du Ministre d’État du 18 mars 2009 portant retrait de l’autorisation d’exercer l’activité de « bar-restaurant-animation musicale sous réserve des autorisations administratives appropriées » à la SCS PE. & Cie, enregistrée au Greffe Général le 31 juillet 2015, tendant à titre principal à être jugée titulaire d’une convention d’occupation domaniale, tacitement renouvelée au 30 juin 2008, et par suite à être autorisée à se rétablir dans les lieux et à y reprendre l’exploitation de son fonds de commerce jusqu’à ce qu’une décision ministérielle ait mis fin à la convention d’occupation domaniale ; à titre subsidiaire, à la condamnation de l’État au paiement d’une somme de 3.027.189,25 euros à titre de dommages et intérêts, dont 2.457.900 euros pour préjudice d’exploitation, 500.000 euros pour perte de chiffre d’affaires et 69.289,85 euros pour frais de justice et d’avocat ; à la condamnation de l’État à lui verser une somme de 10.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral, ainsi qu’à la condamnation de l’État aux dépens.

CE FAIRE,

Attendu que M. a. PE., gérant commandité de la société PE., expose que la société était titulaire d’une convention d’occupation précaire, renouvelée, venant à terme le 30 juin 2008, sur une parcelle et des locaux du domaine de l’État, 2 rue du Portier, où il exploitait un commerce de bar-restaurant ; que, par décision notifiée le 18 mars 2009, le Ministre d’État lui a retiré l’autorisation d’exercer cette activité ; que cette décision, dont l’exécution a été suspendue par ordonnance du 23 juillet 2009 du Vice-président du Tribunal Suprême, a été annulée par le Tribunal Suprême le 8 février 2010 au motif que la convocation préalable devant la Commission prévue à l’ article de la loi du 26 juillet 1991 modifiée relative à l’exercice de certaines activités économiques et juridiques ne l’ informait pas du motif du retrait de l’autorisation d’exercer, tiré du non renouvellement de la convention d’occupation du domaine de l’État ; que, le 30 juin 2009, l’État a demandé à la juridiction judiciaire l’expulsion de la société, laquelle a sollicité la requalification de la convention d’occupation et le prononcé de son renouvellement et, à défaut, l’octroi d’une indemnité d’éviction ; que, par jugement du 28 février 2013, le tribunal de première instance a jugé que les lieux occupés relevaient du domaine public de l’État, auquel la loi n° 490 du 24 novembre 1948 relative aux baux commerciaux n’était pas applicable et que la société ne pouvait prétendre ni au renouvellement de la convention d’occupation précaire, ni au paiement d’une indemnité d’occupation, ni à la réparation d’un quelconque préjudice ; que ce jugement a été confirmé par arrêt du 17 juin 2014 de la cour d’appel qui a ordonné l’expulsion de la société dont le pourvoi a été rejeté par arrêt du 5 mars 2015 de la Cour de révision ; que la société a alors, le 18 avril 2015, formé un recours indemnitaire « précontentieux », implicitement rejeté par le Ministre d’État ;

Attendu que la société fait valoir que le Tribunal Suprême est compétent pour juger, sur le fondement de sa décision d’annulation du 8 février 2010, que la convention d’occupation conclue le 30 octobre 1998, régulièrement renouvelée, qui venait à terme le 30 juin 2008, n’a fait l’objet d’aucune décision préalable de non renouvellement dans les formes légales et qu’aucune des décisions judiciaires intervenues ne pouvait en constater le non renouvellement ; qu’elle est donc fondée à solliciter son rétablissement dans les lieux et la poursuite de son activité commerciale, la convention ayant été, en l’absence de décision préalable, renouvelée à l’échéance du 30 juin 2008 et n’ayant pas été depuis légalement résiliée ; qu’à titre subsidiaire, si elle était considérée comme régulièrement congédiée depuis l’ arrêt de la Cour de révision du 5 mars 2015 , elle sollicite l’indemnisation, en premier lieu du préjudice matériel subi en raison des fautes commises par l’État du 18 mars 2009 au 5 mars 2015 par le versement d’une somme de 2.457.900 euros selon expertise de Monsieur BO., expert- comptable, en deuxième lieu du préjudice moral subi en raison des circonstances fautives du non renouvellement de la convention par l’attribution de la somme de 500.000 euros pour perte de chiffre d’affaires et 69.289,85 euros pour frais de justice et d’avocat ;

Vu la contre requête, enregistrée au Greffe Général le 1er octobre 2015, par laquelle le Ministre d’État conclut à titre principal à l’irrecevabilité de la requête, l’article 90 B de la Constitution n’attribuant pas compétence au Tribunal Suprême, statuant en matière administrative, pour se prononcer par voie d’action sur le renouvellement tacite d’une convention d’occupation précaire ; que, de plus, cette question a été définitivement jugée par les juridictions judiciaires ; qu’il soutient à titre subsidiaire que la demande est mal fondée ; qu’en effet, d’une part, la convention d’occupation de dépendances du domaine public, laquelle ne confère aucun droit à renouvellement, est caduque à son terme et n’a pas à faire l’objet d’une décision de non renouvellement ; que, d’autre part , le gérant de la société a été informé par lettre du 30 avril 2008, deux mois avant terme, qu’elle ne serait pas renouvelée ; qu’en outre l’annulation par le Tribunal Suprême, pour un motif de procédure, du retrait de l’autorisation personnelle d’exercer une activité de M. PE. n’avait ni pour objet, ni pour effet de lui permettre d’occuper des dépendances domaniales mais seulement de lui permettre d’exercer une activité de restauration ; qu’enfin, les juridictions judiciaires ont compétemment et définitivement jugé que la convention d’occupation précaire n’avait pas été renouvelée et que l’occupant sans droit ni titre, devait être expulsé ;

Attendu que le Ministre d’État conclut enfin au rejet des prétentions indemnitaires subsidiaires, dépourvues de tout fondement ; qu’aux termes de l’article 90 B de la Constitution le Tribunal Suprême ne peut condamner l’administration qu’au paiement d’indemnités qui résultent directement de l’illégalité d’une décision administrative qu’il a préalablement annulée ; que, de plus, lorsque l’annulation est prononcée pour vice de forme ou de procédure le requérant ne peut être indemnisé que si la décision annulée n’aurait pu être légalement prise, quand bien même sa forme ou sa procédure auraient été régulières ; que tel n’est pas le cas des préjudices invoqués ; qu’à supposer même qu’ils puissent se rattacher à l’annulation le 8 février 2010 par le Tribunal Suprême de la décision du 18 mars 2009 les préjudices invoqués ne constituent pas des préjudices indemnisables et ne sont pas établis dans leur quantum ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 30 octobre 2015, par laquelle la société maintient ses conclusions et moyens, ajoutant sur la recevabilité que la stricte lecture de l’article 90 B de la Constitution ne peut cantonner l’action en responsabilité contre l’administration à la seule sanction de l’illégalité de ses actes alors que c’est le fait dommageable de l’administration, acte illégal ou action irrégulière, qui ouvre droit à indemnité ; qu’en l’espèce la demande indemnitaire découle de la décision ministérielle illégale de 2009 et du détournement de procédure mis en œuvre postérieurement à l’annulation de cette décision, le 8 février 2010, par la saisine de la juridiction judiciaire ;

Attendu que la société ajoute, sur le fond, que le Ministre d’État se prévaut d’un courrier de non renouvellement qu’il ne produit pas ; que, si l’absence de droit au maintien dans les lieux de l’occupant du domaine public est un principe général opposable aux autorisations unilatérales d’occupation temporaire du domaine public, elle tenait son droit d’occupation du domaine public d’un contrat régi par un texte spécifique, la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les baux commerciaux, laquelle consacre un droit au maintien dans les lieux des commerçants occupant le domaine public, de sorte que son contrat a été renouvelé pour six années à son échéance, l’administration n’ ayant pas, en application de l’article 34 de cette loi, justifié du non renouvellement par un intérêt public ; que, de plus, l’appel d’offres publié au journal de Monaco les 10 et 17 octobre 2008 démontre que le refus de renouvellement visait à octroyer le droit d’occupation à un autre exploitant ; que, de surcroît, la cause juridique du recours est distincte de celle dont était saisie l’autorité judiciaire et que donc l’autorité de la chose jugée ne peut lui être opposée ; que la décision du Tribunal Suprême de 2010 sanctionne non une violation de procédure mais la violation du principe général de niveau constitutionnel du respect des droits de la défense et admet implicitement la possibilité d’un renouvellement tacite de la convention qui aurait dû s’imposer au juge judiciaire ; qu’en ne réparant pas sa faute par une nouvelle convocation devant la commission et en saisissant une juridiction incompétente en matière de domanialité publique, l’administration a commis, dans l’intérêt d’un autre exploitant, un détournement de procédure ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 1er décembre 2015, par laquelle le Ministre d’État maintient l’irrecevabilité de la demande principale et, à titre subsidiaire, le rejet des conclusions indemnitaires, l’article 90 B de la Constitution ne donnant compétence au Tribunal Suprême que pour octroyer les indemnités qui résultent de l’annulation pour excès de pouvoir des décisions des diverses autorités administratives et des ordonnances souveraines prises pour l’exécution des lois ; que, subsidiairement au fond, il est produit la lettre de l’administration des domaines du 30 avril 2008 informant la requérante du non renouvellement de la convention ; que, s’agissant de l’occupation d’une dépendance du domaine public, les dispositions de la loi de 1948 sur les baux commerciaux ne sont pas applicables, comme l’ont jugé les juridictions judiciaires, sans qu’y fasse obstacle la décision de 2010 du Tribunal Suprême, laquelle était relative à une autorisation personnelle d’exercice d’une activité de restauration, distincte du non renouvellement de la convention d’occupation précaire du domaine public, et dont il ne se déduit pas de possibilité de renouvellement tacite de la convention ; que la société requérante, par son maintien dans les lieux sans droit ni titre, est seule responsable de l’imbroglio judiciaire dont elle dénonce les conséquences, en ayant contraint l’État à poursuivre son expulsion du domaine public ;

SUR CE,

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution et notamment son article 90-B-1° ;

Vu l’ Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l’administration et à l’organisation judiciaires et notamment son article 11 ;

Vu l’ article 21 du Code de procédure civile ;

Vu la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 modifiée, concernant l’exercice de certaines activités économiques et juridiques ;

Vu la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les baux commerciaux ;

Vu la décision du Tribunal Suprême n°TS2009-07 du 8 février 2010 ;

Vu la décision de la Cour de révision du 5 mars 2015 ;

Vu l’ Ordonnance du 20 aout 2015 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a nommé Mme Magali INGALL-MONTAGNIER, Membre suppléant, en qualité de rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de la procédure en date du 14 décembre 2015 ;

Vu l’Ordonnance en date du 19 avril 2016 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l’audience du 15 juin 2016 ;

Ouï Mme Magali INGALL-MONTAGNIER, Membre suppléant, en son rapport ;

Ouï le Procureur Général, en ses conclusions ;

Ouï Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO pour la S.C.S PE. & Cie ;

Ouï Maître Jacques MOLINIÉ, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France pour l’État de Monaco.

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

Considérant que la requête de la société PE. est présentée sur le fondement de la décision du Tribunal Suprême en date du 8 février 2010 d’annulation de la décision du Ministre d’État du 18 mars 2009 portant retrait de l’autorisation de M. PE. d’exercer l’activité de « bar-restaurant-animation musicale€» ; qu’elle tend, à titre principal, à voir juger la société PE. titulaire de la convention d’occupation précaire du domaine public de l’État portant sur le terrain et le restaurant s’y trouvant édifié où M. PE. exerçait son activité de restauration, à être autorisée à se rétablir dans les lieux et à y reprendre l’exploitation de son fonds de commerce et, à titre subsidiaire, à la condamnation de l’État au paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts ;

Considérant qu’aux termes de l’article 90 de la Constitution :

A – En matière constitutionnelle, le Tribunal Suprême statue souverainement :

(€) ; 2°) sur les recours en annulation, en appréciation de validité et en indemnité ayant pour objet une atteinte aux libertés et droits consacrés par le Titre III de la Constitution, et qui ne sont pas visés au paragraphe B du présent article.

B – En matière administrative, le Tribunal Suprême statue souverainement :

sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les Ordonnances Souveraines prises pour l’exécution des lois, ainsi que sur l’octroi des indemnités qui en résultent ; (€) » ;

Considérant qu’aux termes de l’ article 21 du code de procédure civile , le tribunal de première instance « connaît : (€) 2° en premier ressort (€) comme juge de droit commun en matière administrative, de toutes les actions autres que celles dont la connaissance est expressément attribuée par la Constitution ou la loi au Tribunal Suprême ou à une autre juridiction » ;

Sur la compétence du Tribunal Suprême pour statuer sur la demande principale

Considérant que la requête par laquelle la société PE. demande à être jugée titulaire d’une convention d’occupation précaire ne relève pas de la compétence du Tribunal Suprême telle que définie par l’article 90 de la Constitution ;

Sur la compétence du Tribunal Suprême pour statuer sur la demande indemnitaire subsidiaire

Considérant qu’il résulte de la combinaison des dispositions de l’article 90- B de la Constitution et de l’ article 21 du Code de procédure civile que le Tribunal Suprême, compétent pour l’octroi des indemnités qui résultent de l’annulation pour excès de pouvoir des décisions des diverses autorités administratives et des ordonnances souveraines prises pour l’exécution des lois, ne l’est pas pour connaître de conclusions à fin d’indemnisation du préjudice causé par une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et dont il n’a pas prononcé l’annulation ;

Considérant que l’annulation par le Tribunal Suprême, le 8 février 2010, de la décision du Ministre d’État du 18 mars 2009 retirant à M. PE. l’autorisation d’exercer une activité économique sanctionnait le seul non-respect du dispositif procédural prévu par la loi du 26 juillet 1991 sur les autorisations d’exercer une activité économique ; que le Tribunal Suprême n’ayant pas statué sur la régularité du non renouvellement de la convention d’occupation précaire du domaine public de l’État, sa décision n’impliquait, ni implicitement ni nécessairement, la possibilité de son renouvellement tacite au profit de la société PE. ;

Considérant que les préjudices dont la société demande l’indemnisation résultent, non de la décision du 18 mars 2009 , annulée le 8 février 2010 par le Tribunal Suprême, de retrait de l’autorisation accordée à M. PE. d’exercer une activité économique, mais du non renouvellement par l’État de la convention d’occupation du domaine public au profit de la société PE., que, dès lors, le Tribunal Suprême n’est pas compétent pour en connaître ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête présentée par la S.C.S PE. & Cie est rejetée.

Article 2 : Les dépens sont mis à la charge de la S.C.S PE. & Cie.

Article 3 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.