Décisions

25/11/2016

Décision 2015-03 Époux ST. c/ État de Monaco

Tribunal Suprême

Monaco
25 novembre 2016
Époux ST.
c/ État de Monaco

Abstract

Compétence
Contentieux administratif. Recours en indemnisation
Recours en indemnisation
Constitution, article 90-B-1°. Compétence du Tribunal Suprême pour l’octroi d’indemnité afférente au préjudice résultant de l’illégalité de la décision annulée. Indemnisation subordonnée à l’illégalité de l’acte administratif. Illégalité fondée ni sur la forme, ni sur la procédure d’édiction de l’acte administratif. Décision administrative de préemption d’un bien immobilier. Décision annulée pour vice de forme. Défaut de preuve de l’exercice illégal de la décision administrative de préemption. Rejet du recours

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière,

Vu la requête enregistrée le 15 octobre 2015 au Greffe Général de la Principauté de Monaco par laquelle les époux ST. demandent la condamnation de l’État de Monaco à leur verser la somme de 251.383 € en réparation des divers préjudices qu’ils auraient subis à raison de l’illégalité de la décision de préemption du 18 mai 2005.

CE FAIRE,

Attendu que les époux ST. exposent s’être portés acquéreurs dans le courant de l’année 2005 du 3e et dernier étage de l’immeuble situé X1 à Monaco, moyennant le prix de 1.250.000 € ; que par Lettre Recommandée avec Avis de Réception du 21 avril à S.E.M. le Ministre d’État, leur Notaire, Maître Henry REY, adressait la déclaration d’intention d’aliéner prévue par l’ article de la loi n° 1235 du 28 décembre modifié ; que S.E.M. le Ministre d’État, par lettre simple datée du 18 mai, parvenue chez le Notaire le 23 mai, faisait connaître son intention de préempter le bien ;

Attendu que Madame m. ST., à la suite du rejet de son recours gracieux, saisissait le Tribunal Suprême, lequel par décision du 12 juin 2006 annulait la décision de préemption pour tardiveté ;

Attendu qu’à la suite de cette décision du Tribunal Suprême, Madame ST. par LR-AR du 26 juillet 2006, sollicitait de S.E.M. le Ministre d’État le transfert à son profit de l’appartement litigieux ainsi que la réparation des préjudices qu’elle aurait subis à raison de l’illégalité de la préemption, chiffrés à l’époque à la somme de 59.924 € ; que, dans sa réponse du 19 septembre 2006, S.E.M. le Ministre d’État se déclarait disposé à procéder au transfert de l’appartement préempté, mais rejetait la demande indemnitaire, réitérée par lettre du 16 octobre 2006 ;

Attendu que, par acte notarié en date du 29 mai 2007, les requérants ont pu acquérir le bien sis à Monaco X1, pour la somme de 1.250.0000 € ;

Attendu que les Époux ST. sollicitent d’être dédommagés des préjudices subis qu’ils imputent aux agissements de S.E.M. le Ministre d’État, savoir le surcoût de l’emprunt souscrit à raison de la majoration de son taux entre la proposition de prêt et la souscription effective de celui-ci, soit la somme de 89.210 €, à laquelle il y aurait lieu d’ajouter 7.500 € d’augmentation du coût des travaux de remise en état de l’appartement, 873 € au titre des droits d’enregistrement du renouvellement de leur bail, la somme de 103.800 € correspondant aux 25 mois de loyers de l’appartement qu’ils ont occupé dans l’attente de la régularisation de leur achat, soit un montant total de 201.383 € ;

Attendu que, par exploit en date du 25 novembre 2008, les requérants ont fait attraire l’État de Monaco par-devant le Tribunal de Première Instance aux fins d’obtenir la condamnation de celui-ci à cette même somme de 201.383 €, majorée de celle de 50.000 € à titre de dommages et intérêts ;

Attendu que par jugement en date du 27 octobre 2011, le Tribunal de Première Instance, faisant droit aux conclusions de l’État de Monaco, s’est déclaré incompétent, jugement confirmé par arrêt de la Cour d’Appel de Monaco du 12 février 2013 , la Cour de Révision rejetant le pourvoi formé ;

Attendu que dans son arrêt rendu le 26 mars 2014, la Cour de Révision a jugé :

de première part qu’ayant relevé que l’article 90-B de la Constitution dispose que le Tribunal Suprême statue souverainement sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les ordonnances souveraines prises pour l’exécution des lois ainsi que l’octroi des indemnités qui en résultent, que la compétence indemnitaire ainsi dévolue au Tribunal Suprême est le corollaire du strict exercice des prérogatives qui lui sont conférées et que la demande indemnitaire des époux ST. trouvait son fondement dans l’annulation d’un acte de l’administration, la Cour d’Appel a fait l’exacte application tant des dispositions de l’article 90-B-1 de la Constitution que de l’ article 21-2 du Code de procédure civile ; que de seconde part, répondant aux conclusions prétendument délaissées, elle a relevé qu’aucune demande indemnitaire n’avait été formée par Mme ST. devant le Tribunal Suprême alors que cette partie avait conscience des préjudices subis dont elle réclamait réparation au Ministre d’État quelques jours plus tard » ;

Que c’est dans cet état que les Époux ST. saisissent le Tribunal Suprême par requête enregistrée le 15 octobre 2015 ;

Qu’à l’appui de cette requête, ils soutiennent tout d’abord la compétence du Tribunal Suprême sur le fondement de l’article 90 B-1 de la Constitution sans qu’y puisse faire obstacle l’ article de l’Ordonnance n° 2984 du 16 avril 1983 sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême, dès lors qu’à la date de l’introduction de leur recours en annulation devant le Tribunal Suprême, leur demande d’indemnisation ne pouvait être formée concomitamment dans l’impossibilité qu’ils étaient d’évaluer les préjudices dont ils font aujourd’hui état ;

Qu’ainsi le surcoût de leur emprunt résultant de la différence entre le taux d’intérêt initialement prévu et celui appliqué lors de l’acquisition ultérieure du bien ne pouvait être connu et chiffré, et qu’il est né plus de 2 mois après la décision du Tribunal Suprême ; que, dès lors, il ne peut être opposé aux Époux ST. qu’ils auraient dû demander l’indemnisation d’un préjudice non encore réalisé devant la Juridiction administrative ;

Qu’il en est de même des dommages et intérêts réclamés sur le fondement des conséquences financières de la privation de l’appartement qu’ils s’apprêtaient à acquérir, du fait de la décision illégale de préemption ;

Attendu que, si l’article 35 susvisé indique que le Tribunal Suprême statue dans la même décision sur la demande d’annulation et celle d’indemnisation quand le recours comporte une telle demande indemnitaire, rien n’interdit aux requérants de solliciter l’indemnisation de leur préjudice par voie de requête séparée dès lors qu’elle est fondée sur l’annulation de la décision administrative qui leur fait grief ;

Que le Tribunal de Première Instance s’étant déclaré incompétent, le Tribunal Suprême doit se déclarer compétent car, à défaut, la situation des Époux ST. serait contraire au droit d’accès à la Justice, droit fondamental, consacré comme tel, notamment par l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales ;

Attendu sur le fond qu’il est incontestable, selon les Époux ST., que du fait de la préemption illégale de l’appartement sis à Monaco X1, effectuée par l’État et plus généralement de son comportement, ils ont subi un préjudice ci-dessus chiffré à la somme de 201.383 € ; qu’il conviendra donc d’entendre le Tribunal Suprême condamner l’État de Monaco à payer aux Époux ST. cette somme en réparation des préjudices subis à raison de la préemption illégale de l’État, ainsi qu’à la somme de 50.000 € au titre de légitimes dommages et intérêts en réparation du préjudice spécifique tiré de la nécessité devant laquelle les requérants se sont trouvés d’ester en justice du fait de la résistance abusive de l’État ;

Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général de la Principauté le 17 décembre 2015 par laquelle le Ministre d’État commence par exposer les faits de la procédure tels que présentés par les Époux ST. avant que de conclure à l’irrecevabilité de leur requête ;

Qu’il rappelle qu’il a été jugé (TS 16 février 2015 Sieur d. FL.) « le requérant en excès de pouvoir qui a obtenu l’annulation d’une décision administrative est recevable à contester devant le Tribunal Suprême le refus que lui a opposé l’Administration de tirer les conséquences indemnitaires de l’annulation prononcée » ;

Qu’ainsi, lorsque le Tribunal Suprême est saisi d’une requête formée contre une décision de refus de conclusions indemnitaires, ce sont les dispositions de droit commun, et donc l’ article de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême, qui sont applicables ;

Que ledit article 13 dispose que « le délai de recours devant le Tribunal Suprême est, à peine d’irrecevabilité, de 2 mois à compter, selon les cas, de la notification, de la signification ou de la publication de l’acte ou de la décision attaquée » ;

Attendu qu’en l’espèce il est constant que par lettre du 16 septembre 2006, reçue le 21 septembre, S.E.M. le Ministre d’État a expressément rejeté la réclamation indemnitaire dont il avait été saisi, au demeurant chiffrée au montant très inférieur de 59.924 € ;

Que les Époux ST. disposaient donc d’un délai de 2 mois, expirant le 22 novembre 2006, pour saisir le Tribunal Suprême de leur demande indemnitaire ;

Attendu que les Époux ST., ont choisi d’assigner l’État, 2 ans plus tard, devant le Tribunal de Première Instance, suivant exploit du 25 novembre 2008 ;

Attendu que si les dispositions de l’ article de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 précitée prévoit que la saisine d’une juridiction incompétente a pour effet de conserver le délai de recours contentieux devant le Tribunal Suprême, c’est à la double condition que la juridiction « compétente » ait été saisie dans le délai du recours contentieux applicable devant le Tribunal Suprême et que, d’autre part, ce dernier soit lui-même saisi dans les 2 mois suivant la décision par laquelle la Juridiction s’est déclarée incompétente ;

Qu’aucune de ces deux conditions n’est remplie puisque le Tribunal de Première Instance n’a été saisi que le 26 novembre 2008, soit plus de 2 ans après la décision opposée par le Ministre d’État à la demande d’indemnisation et que, d’autre part, la présente requête n’a été formée que le 15 octobre 2015, soit plus d’un an et demi après la décision de la Cour de Révision du 26 mars 2014 consacrant de manière définitive l’incompétence des juridictions de droit commun ;

Que dans ces conditions, la requête des Époux ST. est irrecevable comme tardive, et que ce n’est qu’à titre subsidiaire qu’il sera répondu sur le fond ;

Sur le fond, attendu que les préjudices résultant de l’annulation d’une décision pour vice de forme ou de procédure, ne sont indemnisables que si l’autorisation annulée n’était pas justifiée au fond ; qu’il est constant que la décision de préemption du 18 mai 2005 n’a été annulée par le Tribunal Suprême que pour une simple irrégularité de procédure tirée de la tardiveté de sa notification, alors que la préemption était justifiée au fond à la fois par un intérêt urbanistique lié à la réalisation d’une opération de remembrement et par un intérêt social lié au logement d’un foyer monégasque, reposant ainsi sur un motif d’intérêt général ;

Qu’ainsi les Époux ST. ne sont pas fondés à réclamer la réparation d’un préjudice matériel et moral qui résulterait de l’annulation de cette décision par le Tribunal Suprême ;

Attendu qu’en toute hypothèse, les préjudices invoqués ne peuvent ouvrir droit à aucune indemnisation dès lors qu’ils ne « résultent » pas de la décision de préemption annulée et qu’ils sont, au surplus, dépourvus de toute justification ;

Qu’ainsi, le préjudice résultant de la différence entre le taux d’intérêt du prêt initial fixé à 3,23 % et le taux d’intérêt du prêt finalement accordé au taux de 4,06 % ne résulte que d’une différence de durée de remboursement de ce prêt ;

Que la somme de 50.000 € sollicitée au titre « de légitimes dommages et intérêts en réparation du préjudice spécifique tiré de la nécessité d’ester en justice du fait de la résistance abusive de l’État », tend en réalité à l’octroi de frais irrépétibles, au demeurant non justifiés, résultant de la saisine par les Époux ST. de juridictions incompétentes ;

Que le préjudice invoqué au titre du « prix des travaux » qui aurait augmenté de 7.500 € n’est justifié par la production d’aucun document ;

Qu’enfin, le prétendu préjudice évalué à 103.800 € qui résulterait de l’obligation dans laquelle les requérants se seraient trouvés de continuer à régler un loyer entre la date de préemption et la date à laquelle ils ont pu acquérir le bien et en prendre possession, était sensiblement équivalent au montant des mensualités du crédit qu’ils auraient acquitté en l’absence de préemption ;

Que dès lors, l’ensemble des chefs de la demande seront écartés ;

Vu la réplique enregistrée au Greffe Général le 18 janvier 2016 par laquelle les Époux ST. persistent aux mêmes fins par les mêmes moyens, y ajoutant que la demande indemnitaire consécutive à une décision d’annulation est une demande autonome du recours en excès de pouvoir, et que dès lors, le délai de prescription est celui de toute action de droit commun ; que d’ailleurs le recours engagé par les requérants par devant le Tribunal de Première Instance, Juge de droit commun en matière administrative, avait respecté ce délai de prescription ;

Attendu au surplus que la demande d’indemnisation se fonde sur le préjudice subi par les requérants du fait de la privation de jouissance de l’appartement dont la préemption a été déclarée irrégulière, préjudice qui ne pouvait être évalué qu’à partir du moment où l’Administration a rétrocédé aux requérants l’appartement litigieux ; qu’en conséquence il ne saurait être fait grief aux requérants de n’avoir pas formé une demande indemnitaire à un moment où elle était impossible à évaluer ;

Attendu ensuite que l’article 90-B-1e de la Constitution n’exclut nullement par sa rédaction, la possibilité pour un administré d’obtenir une indemnité comme conséquence d’une décision administrative irrégulière en la forme ;

Qu’en l’espèce, la décision de préemption n’a pas été annulée pour des raisons de forme superficielles mais pour avoir été prise en dehors du délai prévu par la loi ;

Que si l’Administration avait immédiatement reconnu le caractère irrégulier évident de la décision de préemption contestée, comme cela lui a été demandé par recours gracieux, les requérants n’auraient pas subi le préjudice dont ils entendent être indemnisés ;

Qu’en l’espèce, c’est donc le temps mis pour régulariser la situation après la décision du Tribunal Suprême qui est à l’origine du préjudice subi par les requérants et non pas une simple irrégularité formelle ;

Attendu enfin qu’il serait inexact de soutenir que l’augmentation des taux d’intérêt liés au prêt serait la conséquence d’une diminution de la durée de celui-ci, dès lors qu’une diminution de durée entraîne généralement, au contraire, une diminution du taux ;

Qu’en l’espèce, la majoration tient à l’écoulement du temps dès lors que ce taux était de 3,23 % en avril 2005, de 3,75 % en août 2006 et de 4,03 % en octobre 2006, ce qui est cohérent par rapport à l’évolution de l’Euribor passé de 2,092 % au 1er avril 2005, à 2,83 % en août 2006 et à 3,08 % en octobre 2006 ;

Attendu qu’en ce qui concerne la majoration du prix des travaux, un devis a été fourni à M. le Ministre d’État le 28 juillet 2006 ;

Qu’en ce qui concerne le coût des loyers supportés par les requérants, le préjudice tient précisément au fait que ce montant aurait pu être utilisé pour le remboursement du prêt ; qu’enfin, la rétrocession de la propriété de l’appartement n’aurait pu intervenir dès le 19 septembre 2006 comme prétendu, alors que le courrier à ce sujet du conseil des requérants, daté du 19 décembre 2006, n’a reçu de réponse que le 29 mars 2007 ;

Qu’il est donc conclu de plus fort d’allouer aux requérants l’entier bénéfice de leurs demandes ;

Vu la duplique enregistrée au Greffe Général le 19 février 2016, par laquelle le Ministre d’État persiste en toutes ses conclusions de rejet par les mêmes moyens, soulignant, en ce qui concerne la recevabilité, que les termes généraux de l’ article de l’Ordonnance Souveraine n° 2984 visent l’ensemble des requêtes, et pas seulement les recours pour excès de pouvoir, étant précisé que ce délai de 2 mois court à compter de la décision de l’Administration refusant de tirer les conséquences pécuniaires de l’annulation prononcée ; qu’il suffit donc au demandeur de présenter à l’Administration sa demande d’indemnité lorsque son préjudice est en mesure d’être calculé, puis de contester dans le délai normal de recours le refus qui lui est oppose par l’Administration ;

Qu’il ne pourra donc qu’être constaté que le recours des Époux ST. est tardif ;

Attendu, subsidiairement, au surplus que la décision de préemption n’a été annulée qu’à raison d’une irrégularité formelle alors que sa légalité au fond n’est pas contestée, ce qui exclut donc toute indemnisation pour des préjudices dont le Ministre d’État maintient qu’ils ne sont établis ni dans leur quantum, ni dans leur réalité ;

Que dans ses conditions, le rejet des prétentions indemnitaires des Époux ST. s’impose en tout état de cause ;

SUR CE,

Vu le rejet par le Ministre d’État, en date du 19 septembre 2006 de la demande d’indemnisation présentée par Mme ST. au nom des Époux ST. ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution et notamment son article 90-B-1°;

Vu l’ Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la décision du Tribunal Suprême n° 2005-22 en date du 12 juin 2006 ;

Vu le Jugement du Tribunal de Première Instance de Monaco en date du 27 octobre 2011, confirmé par arrêt de la Cour d’Appel du 12 février 2013, et l’arrêt du 26 mars 2014 de la Cour de Révision ;

Vu l’Ordonnance en date du 20 octobre 2015 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a nommé M. José SAVOYE, Membre Titulaire, en qualité de rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture du Greffier en Chef en date du 29 février 2016 ;

Vu l’Ordonnance en date du 20 septembre 2016 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l’audience du 17 novembre 2016 ;

Ouï M. José SAVOYE, Membre Titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d’Appel de Monaco pour les Époux ST. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France pour l’État de Monaco.

Ouï le Procureur Général en ses conclusions ;

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ,

Considérant que par décision n° 2005-22 en date du 12 juin 2006, le Tribunal Suprême a annulé la décision du Ministre d’État en date du 18 mai 2005 d’acquérir l’appartement sis au 3e étage du X1 à 98000 Monaco, à raison de la tardiveté de la notification de cette décision ;

Considérant qu’à la suite de cette décision d’annulation, les époux ST. sollicitaient du Ministre d’État le transfert de la propriété de l’appartement litigieux, y ajoutant une demande d’indemnisation des préjudices nés de l’illégalité de la décision annulée, à hauteur de 59.924 € ;

Considérant que si, par courrier du 19 septembre 2006, le Ministre d’État se déclarait disposé à procéder au transfert de l’appartement, il opposait en revanche un refus à la demande d’indemnisation qui lui était présentée ;

Considérant que les époux ST. après avoir majoré le montant de leurs demandes par courriers des 16 octobre et 19 décembre 2006, assignaient alors en indemnisation l’État de Monaco par devant le Tribunal de Première Instance, lequel, par jugement du 27 octobre 2011 se déclarait incompétent pour en connaître ;

Que, par arrêt du 12 février 2013, la Cour d’Appel de Monaco le confirmait en toutes ses dispositions, la Cour de Révision rejetant dans son arrêt du 26 mars 2014 le pourvoi formé devant elle ;

Sur la compétence du Tribunal Suprême

Considérant que l’article 90-B-1° de la Constitution dispose :

B – « En matière administrative, le Tribunal Suprême statue souverainement :

1 – sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les ordonnances souveraines prises pour l’exécution des lois, ainsi que l’octroi des indemnités qui en résultent » ;

Que, dès lors, le requérant en excès de pouvoir qui a obtenu l’annulation d’une décision administrative est recevable, soit à contester devant le Tribunal Suprême le refus que lui a opposé l’Administration de tirer les conséquences indemnitaires de l’annulation prononcée, soit à former directement devant le même Tribunal Suprême un recours indemnitaire pour obtenir réparation des préjudices résultant de l’illégalité de la décision annulée ; que ces actions ne sont enserrées dans aucun délai autre que le délai de prescription des créances ;

Considérant que les préjudices dont les époux ST. réclament l’indemnisation résultent, non seulement de l’annulation de la décision de préemption à concurrence de 59.924 € mais en outre du délai, dont le caractère fautif est allégué, mis par le Ministre d’État à exécuter la décision du Tribunal Suprême, la rétrocession de l’appartement, objet de la décision annulée, n’étant intervenue que par acte notarié du 29 mai 2007 ; que, si les conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant de l’illégalité de la décision annulée relèvent bien de la compétence du Tribunal Suprême, il appartient au Tribunal de Première Instance, juge administratif de droit commun, de connaître du surplus de la demande ;

Sur les conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant de l’illégalité de la décision annulée

Considérant que le délai fixé par l’ article de l’Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée n’étant pas applicable, aucune fin de non-recevoir tirée de la tardiveté ne peut être opposée à la requête indemnitaire des époux ST. enregistrée le 15 octobre 2015 ;

Considérant qu’en cas d’annulation pour vice de forme ou de procédure, le requérant doit établir, pour justifier d’un préjudice indemnisable, que l’acte annulé n’aurait pu être légalement pris, même si la forme ou la procédure avaient été régulières ;

Considérant que l’annulation de la décision de préemption du Ministre d’État de l’appartement sis au 3e et dernier étage de l’immeuble X1 à Monaco a été prononcée pour n’avoir pas été notifiée dans le délai d’un mois prévu par l’ article de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 ; que s’agissant ainsi d’une annulation pour vice de forme, les époux ST. doivent établir, pour justifier d’un préjudice indemnisable, que la préemption ne pouvait être légalement exercée, même si le délai avait été respecté ; que la présente requête indemnitaire ne comporte aucun moyen tendant à établir l’illégalité de la décision de préemption ;

Qu’en conséquence, les conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant de l’illégalité de la décision annulée ne peuvent qu’être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant de l’illégalité de la décision annulée sont rejetées.

Article 2 : Les époux ST. sont renvoyés à se pourvoir devant le tribunal de première instance pour le surplus de leurs conclusions.

Article 3 : Les dépens sont partagés par moitié entre l’État et les époux ST.

Article 4 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.