Décisions

23/05/2023

Décision TS 2022-18 à 22 M. P. D. et autres c. Etat de Monaco

Tribunal Suprême

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Principauté de Monaco

TRIBUNAL SUPREME

TS 2022-18, TS 2022-19, TS 2022-20,

TS 2022-21 et TS 2022-22

 

 

                                                     Affaires :

Monsieur P. D.

Monsieur F-X. F.

Monsieur J-M. F.

Monsieur C. N.

SOCIETE L. L. SA

 

              Contre :

                                                     Etat de Monaco

 

 

DECISION

Audience du 10 mai 2023

Lecture du 23 mai 2023

 

 

Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 5 mai 2022 du Ministre d’Etat rejetant la demande d’autorisation d’exercice d’une activité économique par la société J. F. M. présentée par Messieurs P. D., F-X. F., J-M. F. et C. N. et par la société L. L. SA.

 

En les causes de :

1°/ Monsieur P. D. ;

Ayant élu domicile en l’étude de Maître Yann LAJOUX, Avocat-Défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par ledit Avocat-Défenseur, substitué par Maître Jean-Marie TOMASI, Avocat au barreau de Paris ;

2°/ Monsieur F-X F. ;

 Ayant élu domicile en l’étude de Maître Yann LAJOUX, Avocat-Défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par ledit Avocat-Défenseur, substitué par Maître Jean-Marie TOMASI, Avocat au barreau de Paris ;

 3°/ Monsieur J-M F. ;

 Ayant élu domicile en l’étude de Maître Yann LAJOUX, Avocat-Défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par ledit Avocat-Défenseur, substitué par Maître Jean-Marie TOMASI, Avocat au barreau de Paris ;

4°/ Monsieur C. N. ;

 Ayant élu domicile en l’étude de Maître Yann LAJOUX, Avocat-Défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par ledit Avocat-Défenseur, substitué par Maître Jean-Marie TOMASI, Avocat au barreau de Paris ;

 5°/ La société L. L. SA ;

Ayant élu domicile en l’étude de Maître Yann LAJOUX, Avocat-Défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par ledit Avocat-Défenseur, substitué par Maître Jean-Marie TOMASI, Avocat au barreau de Paris ;

 

Contre :

L’Etat de Monaco représenté par le Ministre d’Etat, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de France ;

 

LE TRIBUNAL SUPREME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

 

Vu 1°, la requête présentée par Monsieur P. D., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 7 juillet 2022 sous le numéro TS 2022-18, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 5 mai 2022 du Ministre d’Etat rejetant la demande d’autorisation d’exercice d’une activité économique par la société J. F. M. SARL présentée par Messieurs P. D., F-X. F., J-M. F. et C. N. et par la société l. L. SA. ainsi qu’à la condamnation de l’Etat aux entiers dépens ;

 

CE FAIRE :

Attendu que Monsieur P. D. expose, à l’appui de sa requête, qu’il a, avec Messieurs F-X. F., J-M. F. et C. N. et la société L. L. SA., déposé une demande d’autorisation d’exercice d’une activité économique en Principauté par le biais d’une société en création dénommée J. F. M. SARL ; que cette société « a pour objet en Principauté de Monaco et à l’étranger : / – toutes opérations de courtage en matière exclusivement de prêt immobilier ; l’audit et le conseil en financement d’opérations immobilières ainsi que de façon accessoire toutes opérations de courtage et de conseil ayant trait aux assurances et réassurances de prêts immobiliers pour le compte de personnes physiques ou morales ; / – la mise en relation avec le groupe auquel la société est affiliée exclusivement dans le cadre de toute prestation de relations publiques ou de communication, d’assistance administrative ou de suivi de projet en relation avec l’activité définie ci-dessus ; / – à l’exclusion de toute activité liée à un secteur règlementé en Principauté en ce compris notamment les activités visées à la loi n° 1.252 du 12/07/2002 sur les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et le fonds de commerce et la loi n° 1.338 du 7/09/2007 sur les activités financières » ; que le descriptif de l’activité envisagée est le suivant : « L’activité principale envisagée est telle que décrite dans le premier paragraphe de l’objet social à savoir qu’il s’agit pour la société de conseiller, d’obtenir et de négocier pour le compte de ses clients, personnes physiques et morales, des financements immobiliers à des taux les plus compétitifs possibles ou pour les situations plus spécifiques. Il s’agit d’une mission globale tournée vers les acquéreurs dans l’immobilier afin de leur donner une vision claire des financements pouvant être sollicités et les orienter au mieux dans leur projet d’achat et plus particulièrement son financement tant dans le montant envisageable que dans les conditions de celui-ci. / A titre accessoire, il s’agit également de conseiller d’obtenir et de négocier les offres les plus compétitives possibles en matière d’assurance et de réassurance de crédits immobiliers. / La société s’inscrit dans une démarche globale d’affiliation à un groupe, J. C., et d’extensions de ses besoins en matière d’offres de service plus spécifiques. A savoir également qu’une des sociétés affiliées est d’ores et déjà présente à Monaco, la SARL J. C. dont l’objet est concentré sur le courtage d’assurance et de réassurance de manière générale. / Cette démarche globale de groupe justifie l’extension de l’objet social et de l’activité de la société vers des prestations de relations publiques communication et assistance et ce afin de renforcer l’image et l’offre globale du groupe » ; que la répartition du capital social est la suivante : 1 part sociale pour M. P. D., 1 part sociale pour M. F-X. F, 39 parts sociales pour M. C. N., 39 parts sociales pour M. J-M. F. et 20 parts sociales pour la société L. L. SA ; que la demande d’autorisation a été adressée le 28 février 2022 à la Direction de l’Expansion économique qui en a accusé réception le 1er mars 2022 en estimant que la demande était recevable ; que par une décision du 5 mai 2022, le Ministre d’Etat a rejeté la demande au motif qu’« en vertu des dispositions de l’article 5 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l’exercice de certaines activités économiques et juridiques, modifiée, ledit exercice par des personnes physiques de nationalité étrangère est, en effet, subordonné à l’obtention d’une autorisation. Dans ce cadre, l’autorité administrative a la faculté, au titre de son pouvoir d’appréciation, de décider, en considération de motifs d’intérêt général, s’il convient, ou non, d’accorder l’autorisation sollicitée. A cet égard, il apparaît que l’activité de courtage en matière de prêt immobilier qui s’apparente à une activité d’intermédiaire en opération de banque pour laquelle il n’existe pas de réglementation spécifique à Monaco. En outre, cette activité n’entre pas dans le champ d’application des accords bancaires franco-monégasques et la réglementation française en la matière n’est donc pas applicable à Monaco » ;

Attendu que M. D. soutient, en premier lieu, que la décision qu’il attaque est insuffisamment motivée ; qu’en vertu de l’article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs, une décision refusant une autorisation doit être motivée ; que l’article 2 de la même loi prévoit que la motivation doit être « écrite et comporter, dans le corps de la décision, l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ; que si des motifs d’intérêt général sont retenus pour refuser une autorisation, ils doivent être suffisamment explicités ; qu’au cas présent, le Ministre d’Etat évoque le fait qu’il n’existe pas de réglementation spécifique à l’activité de courtier de prêt immobilier, sans indiquer que cette activité est interdite en Principauté et sans préciser les motifs d’intérêt général qui feraient obstacle à l’autorisation demandée ; que, par ailleurs, la décision attaquée ne comporte pas l’énoncé des considérations de droit qui en constituent le fondement ;

Attendu que M. D. allègue, en deuxième lieu, que la décision attaquée méconnaît la liberté du travail garantie par l’article 25 de la Constitution ; que si le Ministre d’Etat estime qu’il n’existe pas de réglementation spécifique à Monaco portant sur l’activité de courtier en prêt immobilier, aucune disposition législative ou réglementaire ne l’interdit ; que cette activité relève de l’activité de négociation commerciale puisque, selon le Ministre d’Etat, elle n’est ni une opération de banque, ni une opération connexe susceptible d’être régie par la convention franco-monégasque du 14 avril 1945 sur le contrôle des changes ; que la négociation commerciale n’est pas interdite en Principauté ; que, de plus, la loi du 26 juillet 1991 concernant l’exercice de certaines activités économiques et juridiques ne fixe aucune condition que le requérant ne respecterait pas ; que la décision attaquée méconnaît la liberté du travail alors que l’exercice de l’activité de courtier en prêt immobilier n’est pas réglementé par la loi comme l’exige l’article 25 de la Constitution ;

Attendu que M. D. fait, en troisième lieu, grief à la décision attaquée de méconnaître l’article 5 de la loi du 26 juillet 1991 ; que cette disposition prévoit que « l’autorisation, délivrée par décision du Ministre d’Etat, détermine limitativement les activités qui peuvent être exercées, les locaux où elles seront déployées et mentionne, s’il y a lieu, les conditions de leur exercice » ; que le Ministre d’Etat s’est contenté de se prononcer sur l’activité de courtage en prêt immobilier sans toutefois examiner celles relatives à « l’audit et le conseil en financement d’opérations immobilières », à « toutes opérations de courtage et de conseil ayant trait aux assurances et réassurances de prêts immobiliers » et à la « mise en relation avec le groupe auquel la société est affiliée exclusivement dans le cadre de toute prestation de relations publiques ou de communication, d’assistance administrative ou de suivi de projet » ; que, dans son pouvoir d’appréciation, le Ministre d’Etat pouvait ne pas autoriser l’activité de courtage en prêt immobilier mais, dans le même temps, autoriser les activités précitées, comme le lui permettait l’article 5 de la loi du 26 juillet 1991 ; qu’il a méconnu cette disposition ;

Attendu que M. D. fait valoir, en dernier lieu, qu’il est recevable à contester, par la voie de l’exception, l’inconstitutionnalité de l’article 5 de la loi du 26 juillet 1991, ainsi que l’a jugé le Tribunal Suprême dans sa décision n° 2022-09 du 31 mai 2022 ; que si cette disposition législative prévoit que l’exercice d’une activité par les personnes physiques de nationalité étrangère est subordonné à l’obtention d’une autorisation administrative, en fixe l’objet et précise la procédure applicable, elle ne détermine pas les critères permettant l’obtention de l’autorisation administrative d’exercer ; que la loi donne au Ministre d’Etat le pouvoir d’accorder ou de refuser une autorisation d’exercer une activité mais n’indique aucunement quels sont les motifs qui peuvent justifier un refus d’autorisation ; que la loi confère ainsi au Ministre d’Etat un pouvoir discrétionnaire ; que dès lors, cette disposition méconnaît le principe constitutionnel d’égalité de traitement et d’égalité des droits garanti par l’article 32 de la Constitution ; qu’en outre, le principe de sécurité juridique, entendu comme l’exigence de clarté et de prévisibilité de la norme, trouve à s’appliquer en cas d’insécurité juridique liée au caractère imprécis de la loi ; que la loi ne précisant pas quels sont les motifs qui peuvent justifier un refus d’autorisation, elle méconnaît également le principe constitutionnel de sécurité juridique ;

 

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 9 septembre 2022, par laquelle le Ministre d’Etat conclut au rejet de la requête ainsi qu’à la condamnation de M. D. aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d’Etat fait valoir, en premier lieu, que n’est pas fondé le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait insuffisamment motivée ; qu’en effet, d’une part, la décision fait apparaître les motifs faisant obstacle à la délivrance de l’autorisation sollicitée ; qu’elle précise que l’activité au titre de laquelle la demande d’autorisation a été présentée n’est pas soumise à une réglementation spécifique à Monaco et qu’elle n’entre pas dans le champ d’application des accords bancaires franco-monégasques, de sorte que la réglementation française en la matière n’est pas applicable à Monaco ; que la décision indique ainsi que la demande d’autorisation qui a été présentée ne peut qu’être rejetée, dans la mesure où aucun texte ne régit l’activité qu’elle vise à exercer ; que, d’autre part, les motifs de la décision font apparaître les considérations de droit qui en constituent le fondement ;

Attendu que le Ministre d’Etat soutient, en deuxième lieu, que par la décision attaquée, il a fait usage du pouvoir d’appréciation qu’il tient de l’article 5 de la loi du 26 juillet 1991 concernant l’exercice de certaines activités économiques et juridiques soumises à autorisation et ne relevant pas de ce fait de la liberté du travail ; que le Tribunal Suprême a en effet jugé que, dans la mesure où ce texte ne fixe aucune condition légale à la délivrance de l’autorisation qu’il prévoit, « il appartient à l’autorité administrative d’apprécier, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, s’il y a lieu d’accorder cette autorisation » (TS, 16 avril 2012, Sieur A. c/ Ministre d’Etat ; TS 30 juin 2017, Mme CO c/ Ministre d’Etat) ; qu’or, l’activité de courtage en matière de prêt immobilier, qui s’apparente à une activité d’intermédiaire en opération de banque, n’est soumise à aucune réglementation spécifique sur le territoire monégasque et n’entre donc pas dans le champ de accords bancaires franco-monégasques, de sorte que la réglementation française en la matière n’est pas applicable ; que le Ministre d’Etat a relevé que l’activité que les pétitionnaires souhaitaient être autorisés à exercer ne correspondait à aucune activité précisément définie et il en a déduit, en vertu de son pouvoir d’appréciation et en considération de motifs d’intérêt général, que cette activité ne pouvait être autorisée ; que la décision attaquée s’est ainsi bornée à tirer les conséquences du fait que l’activité envisagée n’était pas suffisamment déterminée, de sorte qu’elle n’a pu méconnaître la liberté du travail garantie par l’article 25 de la Constitution ;

Attendu, en troisième lieu, que selon le Ministre d’Etat, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 5 de la loi du 26 juillet 1991 manque en fait ; qu’en effet, la comparaison entre l’objet social de la société et le descriptif de l’activité envisagée apparaissant dans la demande d’autorisation démontre que l’ensemble des activités visées dans l’objet social relèvent du courtage en prêt immobilier ; qu’en effet, c’est dans le cadre de cette activité de courtage en prêt immobilier que devraient être réalisées des activités d’audit, de conseil en financement d’opérations immobilières, de courtage et de conseil en matière d’assurance et de réassurance de prêts immobiliers, ainsi que de mise en relation avec le groupe auquel la société est affiliée ; que dès lors, le Ministre d’Etat n’a pas négligé de se prononcer sur une partie des activités au titre desquelles la demande d’autorisation a été présentée ;

Attendu que le Ministre d’Etat allègue, en dernier lieu, que l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 5 de la loi du 26 juillet 1991 n’est pas fondée ; que, d’une part, dès lors que les décisions de refus d’autorisation prises sur le fondement de la loi du 26 juillet 1991 sont soumises au contrôle du juge de l’excès de pouvoir, l’absence de définition par la loi des motifs pouvant justifier un tel refus ne méconnaît pas les principes constitutionnels d’égalité de traitement et d’égalité des droits ; que, d’autre part, la loi du 26 juillet 1991 ne saurait porter atteinte au principe de sécurité juridique ; que le Tribunal Suprême a en effet jugé que ce principe implique qu’il ne peut être porté une atteinte excessive aux situations contractuelles en cours (TS, 2 décembre 2020, F.) tandis que le Conseil d’Etat français décide qu’il fait obstacle à ce qu’il soit porté atteinte à des situations consolidées par l’effet du temps (CE, 25 septembre 2020, Société L.C., n° 430945, au Recueil) ;

 

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 12 octobre 2022, par laquelle Monsieur D. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu que M. D. ajoute, en premier lieu, que la décision attaquée n’indique pas en quoi l’absence de réglementation ferait obstacle à l’autorisation demandée puisque le Ministre d’Etat ne soutient pas que l’activité serait interdite ; que s’il précise, dans sa contre-requête, qu’il a décidé en vertu de son pouvoir d’appréciation et en considération de motifs d’intérêt général que cette activité ne pouvait être autorisée, ces motifs d’intérêt général ne sont pas explicités dans la décision attaquée ; qu’ainsi, elle est entachée d’un défaut de motivation ;

Attendu que M. D. fait valoir, en deuxième lieu, que, contrairement à ce que soutient le Ministre d’Etat, l’activité pour laquelle une autorisation a été demandée est déterminable puisqu’il s’agit de courtage en matière de prêt immobilier ainsi que d’audit et de conseil en matière de financement d’opérations immobilières, activités qui s’apparentent à celle de négociation commerciale pourtant autorisée en Principauté ; qu’en n’autorisant pas une activité qui n’est ni interdite par la loi, ni de nature à porter atteinte à l’ordre public, aux bonnes mœurs ou à toute autre règle en vigueur, le Ministre d’Etat a méconnu l’article 25 de la Constitution ;

Attendu que M. D. précise, en troisième lieu, que ni l’audit et le conseil en financement d’opérations immobilières, ni les opérations de courtage et de conseil ayant trait aux assurances et réassurances ne concernent le courtage en prêt immobilier ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 5 de la loi du 26 juillet 1991 est bien fondé ;

Attendu que M. D. estime, en dernier lieu, que la circonstance que la décision de refus d’autorisation puisse faire l’objet d’un recours contentieux, comme l’indique le Ministre d’Etat, n’est pas de nature à pallier la méconnaissance du principe d’égalité au stade de la décision administrative ; qu’en outre, la loi du 26 juillet 1991 méconnaît bien le principe constitutionnel de sécurité juridique dès lors qu’elle porte une atteinte excessive tout autant aux situations contractuelles en cours qu’aux intérêts du requérant qui ne peut exercer l’activité commerciale en cause ;

 

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 14 novembre 2022, par laquelle le Ministre d’Etat conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu que le Ministre d’Etat ajoute, en premier lieu, que la décision attaquée fait apparaître les motifs d’intérêt général sur lesquels elle se fonde ; que, par suite, le moyen d’insuffisance de motivation n’est pas fondé ;

Attendu que le Ministre d’Etat fait valoir, en deuxième lieu, que l’activité que le pétitionnaire souhaitait exercer ne peut être assimilée à une simple activité de négociation commerciale mais correspond à l’activité de courtage en matière de prêt immobilier, de sorte qu’elle constitue une activité d’intermédiaire en opération de banque ; qu’il est constant qu’une telle activité n’est soumise à aucune réglementation spécifique sur le territoire monégasque et qu’elle n’entre pas dans le champ des accords bancaires franco-monégasques, de sorte que la réglementation française en la matière ne lui est pas applicable ; que l’activité en cause ne correspond ainsi à aucune activité précisément définie, de sorte que la décision attaquée n’a pas méconnu l’article 25 de la Constitution ; qu’il est inopérant qu’elle ne soit ni interdite par la loi, ni de nature à porter atteinte à l’ordre public, aux bonnes mœurs ou à une autre règle en vigueur ;

Attendu que le Ministre d’Etat précise, en troisième lieu, que les autres activités décrites au premier paragraphe de l’objet social de la société J. F. M. doivent être assimilées à celle de courtage en matière de prêt immobilier ; que, la décision attaquée, en refusant d’en autoriser l’exercice, n’a pas méconnu l’article 5 de la loi du 26 juillet 1991 ;

Attendu que le Ministre d’Etat soutient, en dernier lieu, d’une part, que la circonstance que la décision prise par l’autorité administrative en vertu de l’article 5 de la loi du 26 juillet 1991 soit adoptée sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir interdit de considérer que l’absence de définition des motifs pouvant justifier un refus d’autorisation méconnaîtrait le principe constitutionnel d’égalité dès lors qu’il appartient au juge, dans chaque espèce, de s’assurer que ce principe n’a pas été méconnu ; que, d’autre part, il ne saurait être utilement soutenu que l’article 5 de la loi du 26 juillet 1991 méconnaîtrait le principe de sécurité juridique en tant qu’il pose une exigence de clarté et de prévisibilité de la norme ; que ce principe ne peut être invoqué que pour faire obstacle aux atteintes excessives portées aux situations en cours ou aux situations consolidées par l’effet du temps ;

 

Vu 2°, la requête présentée par Monsieur F-X. F., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 7 juillet 2022 sous le numéro TS 2022-19, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la même décision ainsi qu’à la condamnation de l’Etat aux entiers dépens ;

 

CE FAIRE :

Attendu que les moyens soulevés par Monsieur F-X. F. sont identiques à ceux soulevés dans la requête TS 2022-18 ;

 

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 9 septembre 2022, par laquelle le Ministre d’Etat conclut au rejet de la requête ainsi qu’à la condamnation de M. F. aux entiers dépens ;

Attendu que les moyens de défense soulevés par le Ministre d’Etat sont identiques à ceux soulevés dans sa contre-requête dans l’affaire TS 2022-18 ;

 

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 12 octobre 2022, par laquelle Monsieur F. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

 

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 14 novembre 2022, par laquelle le Ministre d’Etat conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

 

Vu 3°, la requête présentée par Monsieur J-M. F., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 7 juillet 2022 sous le numéro TS 2022-20, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la même décision ainsi qu’à la condamnation de l’Etat aux entiers dépens ;

 

CE FAIRE :

Attendu que les moyens soulevés par Monsieur J-M F. sont identiques à ceux soulevés dans la requête TS 2022-18 ;

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 9 septembre 2022, par laquelle le Ministre d’Etat conclut au rejet de la requête ainsi qu’à la condamnation de M. F. aux entiers dépens ;

Attendu que les moyens de défense soulevés par le Ministre d’Etat sont identiques à ceux soulevés dans sa contre-requête dans l’affaire TS 2022-18 ;

 

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 12 octobre 2022, par laquelle Monsieur F. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

 

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 14 novembre 2022, par laquelle le Ministre d’Etat conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

 

Vu 4°, la requête présentée par Monsieur C. N., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 7 juillet 2022 sous le numéro TS 2022-21, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la même décision ainsi qu’à la condamnation de l’Etat aux entiers dépens ;

 

CE FAIRE :

Attendu que les moyens soulevés par Monsieur C. N. sont identiques à ceux soulevés dans la requête TS 2022-18 ;

 

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 9 septembre 2022, par laquelle le Ministre d’Etat conclut au rejet de la requête ainsi qu’à la condamnation de M. N. aux entiers dépens ;

Attendu que les moyens de défense soulevés par le Ministre d’Etat sont identiques à ceux soulevés dans sa contre-requête dans l’affaire TS 2022-18 ;

 

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 12 octobre 2022, par laquelle Monsieur N. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

 

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 14 novembre 2022, par laquelle le Ministre d’Etat conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

 

Vu 5°, la requête présentée par la société L. L. SA, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 7 juillet 2022 sous le numéro TS 2022-22, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la même décision ainsi qu’à la condamnation de l’Etat aux entiers dépens ;

 

CE FAIRE :

Attendu que les moyens soulevés par la société L. L. SA sont identiques à ceux soulevés dans la requête TS 2022-18 ;

 

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 9 septembre 2022, par laquelle le Ministre d’Etat conclut au rejet de la requête ainsi qu’à la condamnation de la société L. L. SA aux entiers dépens ;

Attendu que les moyens de défense soulevés par le Ministre d’Etat sont identiques à ceux soulevés dans sa contre-requête dans l’affaire TS 2022-18 ;

 

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 12 octobre 2022, par laquelle la société L. L. SA tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

 

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 14 novembre 2022, par laquelle le Ministre d’Etat conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

 

SUR CE,

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes aux dossiers ;

Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;

Vu l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 modifiée, concernant l’exercice de certaines activités économiques et juridiques ;

Vu les Ordonnances du 8 juillet 2022 désignant Monsieur Didier RIBES, Vice-président, comme rapporteur ;

Vu les procès-verbaux de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 22 novembre 2022 ;

Vu l’Ordonnance du 4 avril 2023 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé les causes à l’audience de ce Tribunal du 10 mai 2023 ;

Ouï Monsieur Didier RIBES, Vice-président du Tribunal Suprême, en ses rapports ;

Ouï Maître Jean-Marie TOMASI, Avocat au barreau de Paris, pour l’ensemble des requérants ;

Ouï Maître Jacques MOLINIe, Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d’Etat ;

Ouï Madame le Premier Substitut en ses conclusions par lesquelles elle s’en remet à la sagesse du Tribunal Suprême ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

 

APRES EN AVOIR DELIBERE

1. Considérant que, par les requêtes visées ci-dessus, Messieurs P. D., F-X. F., J-M. F. et C. N. et la société L. L. SA demandent au Tribunal Suprême l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 5 mai 2022 du Ministre d’Etat rejetant leur demande d’autorisation d’exercice d’une activité économique par la société J. F. M. SARL ; que leurs requêtes étant dirigées contre la même décision, il y a lieu de les joindre pour qu’il y soit statué par une même décision ;

2. Considérant qu’aucune disposition de la Constitution ne consacre un principe de liberté de création d’une activité économique et de libre établissement dans la Principauté ; qu’il revient dès lors aux autorités de l’Etat de définir le régime juridique applicable en matière d’exercice de toute activité économique et d’établissement, compte tenu des caractères particuliers, notamment géographiques et démographiques, de la Principauté ; qu’il leur est notamment loisible de soumettre à un régime d’autorisation l’exercice d’une activité économique ou l’établissement d’une entité économique et d’en limiter les bénéficiaires ;

3. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 26 juillet 1991 concernant l’exercice de certaines activités économiques et juridiques : « Les activités artisanales, commerciales, industrielles et professionnelles peuvent être exercées, à titre indépendant, dans les conditions prévues par la présente loi, à l’exception des activités ou des professions dont l’accès est déjà soumis à autorisation» ; que l’article 5 de la même loi dispose que : « L’autorisation, délivrée par décision du Ministre d’Etat, détermine limitativement les activités qui peuvent être exercées, les locaux où elles seront déployées et mentionne, s’il y a lieu, les conditions de leur exercice» ;

4. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le régime d’autorisation préalable de l’exercice à titre indépendant de l’ensemble des activités économiques et des professions qui ne sont pas soumises à un régime propre d’autorisation, s’il ne comporte aucune condition légale à la délivrance de l’autorisation, implique que l’Administration s’assure non seulement que les demandeurs remplissent l’ensemble des conditions d’exercice de l’activité le cas échéant prévues par un autre texte mais également et en tout état de cause que l’exercice de l’activité, apprécié au terme d’un examen des circonstances particulières de chaque espèce, ne soit pas susceptible de nuire à l’ordre public économique propre à la Principauté ou de nature à porter atteinte à d’autres objectifs d’intérêt général ; qu’en l’absence de réglementation spécifique d’une activité, il appartient ainsi à l’autorité administrative d’apprécier, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, s’il y a lieu de délivrer l’autorisation individuelle en s’attachant à vérifier si le pétitionnaire présente des compétences professionnelles ainsi que des garanties financières et morales suffisantes et en évaluant l’impact d’une délivrance éventuelle au regard du secteur d’activité concerné ;

5. Considérant qu’il s’ensuit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la loi du 26 juillet 1991 concernant l’exercice de certaines activités économiques et juridiques, en laissant à l’Administration un pouvoir discrétionnaire, méconnaîtrait les principes constitutionnels d’égalité et de sécurité juridique ;

6. Considérant, en revanche, qu’il ressort des pièces du dossier que pour rejeter la demande des requérants tendant à être autorisés à exercer l’activité principale de courtage en prêt immobilier ainsi que diverses activités accessoires, la décision attaquée énonce qu’il n’est pas délivré d’autorisation pour cette activité en Principauté au motif qu’elle ne fait pas l’objet d’une réglementation spécifique ; qu’il résulte de ce qui précède qu’en se prononçant ainsi, l’Administration a méconnu la portée des dispositions de la loi du 26 juillet 1991 ; que, dès lors, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par les requérants, ceux-ci sont fondés à demander l’annulation de la décision qu’ils attaquent ;

 

DECIDE :

Article 1er : Les requêtes nos 2022-18, 2022-19, 2022-20,    2022-21 et 2022-22 sont jointes.

Article 2 : La décision du 5 mai 2022 du Ministre d’Etat rejetant la demande d’autorisation d’exercice d’une activité économique est annulée.

Article 3 : Les dépens sont mis à charge de l’Etat.

Article 4 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’Etat.

 

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier RIBES, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, Vice-président, présidant l’Assemblée plénière, rapporteur, Philippe BLACHER, Stéphane BRACONNIER, Membres titulaires, Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, et Monsieur Guillaume DRAGO, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, Membres suppléants,

et prononcé le vingt-trois mai deux mille vingt-trois en présence du Ministère public, par Monsieur Didier RIBES, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, Greffier en chef.

 

Le Greffier en Chef,                           Le Président,