25/10/2022
Communiqué TS 2021-10 Mme K. c/ État de Monaco
Tribunal Suprême
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Monaco, le 25 octobre 2022
Le Tribunal Suprême assure la conciliation
entre le secret de la sécurité nationale et le droit à un recours effectif
Par une décision du 7 octobre 2022, le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco a invité le Ministre d’État à communiquer au Tribunal les éléments lui permettant de contrôler la légalité de la décision attaquée selon des modalités, précisées dans la décision, garantissant le respect du secret de la sécurité nationale.
Par une décision non motivée, le Ministre d’État a refusé de délivrer à Mme K., ressortissante d’un État tiers et résidente d’un autre État tiers, une première demande de carte de séjour de résident. Celle-ci, estimant qu’elle remplissait l’ensemble des conditions pour l’obtention d’un tel titre, a demandé au Tribunal Suprême d’annuler pour excès de pouvoir cette décision.
Une décision administrative non motivée mais dont les motifs doivent être légaux
Dans une décision du 12 juillet dernier, le Tribunal Suprême a rappelé qu’en vertu de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des décisions administratives, l’Administration n’est pas tenue de se prononcer par une décision formellement motivée pour refuser une première demande de carte de séjour de résident. La décision attaquée n’est donc pas illégale en raison de son absence de motivation formelle.
En revanche, en cas de recours formé devant le Tribunal Suprême, il appartient à l’Administration de faire connaître au Tribunal les raisons pour lesquelles elle a rejeté cette demande. La mission du Tribunal Suprême est, en effet, de vérifier que la décision de l’Administration est légalement justifiée.
Invité à faire connaître les motifs de sa décision, le Ministre d’État a indiqué que les éléments de moralité relatifs à la requérante justifiant la décision de refus provenaient directement d’informations classifiées communiquées par les services partenaires d’États tiers et étaient, par suite, confidentiels.
L’égale protection du secret de la sécurité nationale et du droit à un recours effectif
Dans sa décision du 7 octobre 2022, le Tribunal Suprême énonce, tout d’abord, que le secret de la sécurité nationale est au nombre des exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts supérieurs de l’État. Il s’oppose à ce que soient communiquées à des personnes non habilitées des informations dont la divulgation serait de nature à compromettre la sécurité nationale de la Principauté ou le respect de conventions conclues avec des États tiers concernant l’échange et la protection d’informations classifiées.
Le Tribunal Suprême rappelle, ensuite, que le droit à un recours juridictionnel effectif est inhérent à l’affirmation constitutionnelle de la Principauté de Monaco en tant qu’État de droit. Le respect de ce droit participe à la garantie des autres droits fondamentaux consacrés par la Constitution. Ce droit implique le respect des droits de la défense et le caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle.
La nécessaire conciliation entre secret de la sécurité nationale et droit à un recours effectif
Le secret de la sécurité nationale opposé par l’État ne saurait conduire à priver une personne ayant fait l’objet d’une décision défavorable de l’Administration de son droit à un recours effectif, droit garanti tant par la Constitution que par les conventions internationales ratifiées par la Principauté. De même, le caractère contradictoire de la procédure devant le Tribunal Suprême ne peut conduire à porter atteinte au secret de la sécurité nationale également garanti par la Constitution.
Dans sa décision, le Tribunal Suprême précise les modalités selon lesquelles ces exigences contradictoires peuvent être conciliées.
D’une part, il appartient à l’Administration de communiquer les éléments d’information qui peuvent être versés au débat contradictoire dans le respect des exigences inhérentes à la sauvegarde des intérêts supérieurs de l’État et qui sont nécessaires pour que le juge statue en pleine connaissance de cause. Ces éléments doivent à tout le moins comporter, même de manière sommaire, la substance des motifs qui justifient l’acte attaqué.
D’autre part, lorsque les éléments d’information sont couverts par le secret de la sécurité nationale et ne peuvent être déclassifiés, la garantie du droit à un recours juridictionnel impose qu’ils soient communiqués aux seuls membres de la formation de jugement du Tribunal Suprême, le cas échéant après mise en œuvre des procédures appropriées pour leur permettre d’avoir accès à ces éléments.
Concrètement, une telle modalité peut consister à ce que trois membres du Tribunal formant la section administrative consultent, dans les locaux des services compétents, les documents pertinents. Un procès-verbal acte de cette consultation sans autre mention. Les membres de la section administrative statuent ensuite sur la requête. Leur décision se borne à constater que la décision est ou n’est pas légalement justifiée.
Lorsque, dans l’un comme dans l’autre cas, l’Administration refuse de communiquer les éléments nécessaires, elle ne met pas le Tribunal Suprême à même d’exercer son contrôle. Il doit alors annuler l’acte attaqué.
Le Ministre d’État a ainsi été invité à prendre les mesures appropriées pour permettre au Tribunal Suprême d’exercer son contrôle de légalité de la décision critiquée devant lui.