Décisions

19/06/2018

Décision TS 2017-13 et 2018-01 M. M. A. c/ ÉTAT DE MONACO

Tribunal Suprême

Recours en annulation pour excès de pouvoir des arrêtés ministériels n° 2017-183, 2017-184 et 2017-185 du 27 mars 2017 autorisant M. S.P., Mme O.R. et M. B.W.S. à exercer la profession d’expert-comptable (recours n° 2017-13) et en annulation de la décision implicite du Ministre d’État du 28 septembre 2017 ayant rejeté le recours gracieux formé le 26 mai 2017 par M. M.A. contre les arrêtés ministériels précités n° 2017-183, 2017-184 et 2017-185 ainsi que contre la décision implicite de rejet de sa demande d’admission au tableau de l’Ordre des experts-comptables de Monaco en date du   27 mars 2017 (recours n° 2018-01) et à la condamnation de l’Etat de Monaco aux entiers dépens.

En la cause de :

M. A.,

Elisant domicile en l’étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d’Appel de Monaco, et plaidant par Maître André BONNET, avocat au Barreau de Marseille.

Contre :

L’ÉTAT DE MONACO, représenté par le Ministre d’État, ayant pour avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO près la Cour d’appel de Monaco et

plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIÉ, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de France,

S.P., élisant domicile en l’étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d’Appel de Monaco, et plaidant par Maître Régis FROGER, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France,

Mme O.R., élisant domicile en l’étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d’Appel de Monaco, et plaidant par Maître Régis FROGER, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France,

B.W.S., élisant domicile en l’étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d’Appel de Monaco, et plaidant par Maître Régis FROGER, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France.

 

LE TRIBUNAL SUPREME

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

I – Vu la requête présentée par M. M. A., enregistrée au Greffe général de la Principauté de Monaco le 30 mai 2017 sous le numéro TS 2017-13, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des arrêtés ministériels n° 2017-183, 2017-184 et 2017-185 du 27 mars 2017 autorisant M. S.P., Mme O.R. et M. B.W.S à exercer la profession d’expert-comptable, à la communication de la procédure à M. S. P., Mme O.R. et M. B.W.S. ainsi qu’à la condamnation de l’Etat aux dépens.

CE FAIRE :

Attendu que, par arrêtés ministériels n° 2017-183, 2017-184 et 2017-185 en date du 27 mars 2017, le Ministre d’État a autorisé M. S.P., Mme O.R. et M. B.W.S. à exercer la profession d’expert-comptable ;

Attendu qu’à l’appui de sa requête contre ces trois arrêtés ministériels,         M. A. expose qu’il a sollicité à plusieurs reprises et depuis de nombreuses années la même autorisation ; que toutes ses demandes ont été rejetées ; qu’il a contesté le dernier refus qui lui avait été opposé devant le Tribunal Suprême, lequel, par décision n° 2016-05, a rejeté son recours au motif qu’il n’avait contesté ni l’Ordonnance Souveraine fixant le nombre maximal des experts-comptables et comptables agréés susceptibles d’être autorisés ni les autorisations délivrées en février 2015 à deux autres professionnels ; qu’à la lecture du Journal de Monaco il a découvert que, par Ordonnance Souveraine n° 6.323 du 27 mars 2017, le nombre maximal d’autorisations susceptibles d’être délivrées a été augmenté de trois et que, par trois arrêtés du même jour, trois professionnels ont été autorisés à exercer, lui-même ne figurant pas au nombre de ces bénéficiaires ;

Attendu que, selon la requête, ces autorisations sont irrégulières dès lors qu’aucune nouvelle demande, postérieure à l’Ordonnance n° 6.323 n’a pu être déposée en l’absence de tout délai entre l’intervention de cette Ordonnance et la date de délivrance des autorisations ; qu’il ressort en outre d’une lettre adressée à M. A. le 19 mai 2015 par le Conseiller de gouvernement pour l’économie et les finances qu’une consultation avec le conseil de l’Ordre des experts-comptables a abouti à la mise en œuvre de nouveaux critères de classement des demandes d’autorisation ; que le principe de cette consultation est illégal ; que, au regard des conditions posées par l’article 5 de la loi du 12 juillet 2000 relative à l’exercice de la profession d’expert-comptable, et par comparaison avec la jurisprudence du Conseil d’Etat français sur les « directives », ces critères sont illégaux comme supprimant des conditions fixées par cette loi et ajoutant de nouvelles conditions, et ne permettant pas qu’ils puissent être écartés à l’occasion de l’examen individuel de chaque dossier ; qu’ils ne sont en tout cas pas applicables faute de publication préalable ; que M. A. soutient en outre que, dans la mesure où lui-même remplit toutes les conditions posées par la loi du 12 juillet 2000, ainsi que les critères mentionnés dans la lettre du 19 mai 2015, il avait plus de titres à être autorisé à exercer la profession, de sorte que les arrêtés du 27 mars 2017 sont entachés d’une erreur d’appréciation, voire de droit ; qu’enfin ces arrêtés doivent être annulés pour détournement de procédure en raison des conditions et de la date d’adoption d’un nouveau numerus clausus interdisant toute nouvelle candidature ;

Vu l’ordonnance du 9 juin 2017 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a ordonné que la procédure soit communiquée à M. S.P., Mme O.R. et    M. B.W.S ;

Vu la contre requête enregistrée le 1er août 2017 au Greffe Général par laquelle par laquelle le Ministre d’État conclut à l’irrecevabilité de la requête en tant qu’elle vise les arrêtés ayant autorisé Mme R. et M. S., au rejet de la requête en tant qu’elle vise l’arrêté ayant autorisé M. P., ainsi qu’à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d’État soutient que la requête présente le caractère d’une requête collective qui conduit nécessairement à l’examen de la situation particulière de chacun des trois bénéficiaires ; qu’elle n’est donc recevable qu’en ce qui concerne la première décision citée à savoir l’arrêté n° 2017-183 qui a bénéficié à M. S.P. ; sur le fond, le Ministre d’État soutient que la circonstance que l’Ordonnance n° 6.323 n’ait pas été publiée avant l’intervention des décisions  attaquées est sans incidence sur la légalité de ces dernières dès lors qu’il est établi que l’Ordonnance était signée à la date de signature des arrêtés attaqués, cette circonstance ayant seulement pour effet de différer l’entrée en vigueur de ces arrêtés à la date de publication de l’Ordonnance, soit le 31 mars 2017 ; que le grief consistant à reprocher au Ministre d’État de n’avoir examiné que des candidatures déjà en souffrance est inopérant et que M. A., dont la candidature a été examinée en même temps que les autres ne peut en tout cas pas s’en prévaloir ; que les critères de sélection mis en œuvre pour arrêter le choix des candidats ne se substituent pas aux conditions prévues par l’article 5 de la loi du 12 juillet 2000 mais ont vocation à départager les candidats qui remplissent ces conditions ; qu’aucune des conditions légales n’a d’ailleurs été supprimée ; que la régularité de l’adoption de ces critères a déjà été reconnue par le Tribunal Suprême dans le passé ; que ces critères se rattachent aux objectifs fixés par le législateur et en particulier à l’exigence de justifier « d’attaches sérieuses avec la Principauté » ; que l’application de ces critères au cas des candidats qui remplissaient toutes les conditions posées par l’article 5 de la loi du 12 juillet 2000 fait apparaître que la candidature de M. A. n’était pas « meilleure » que les autres ; enfin le Ministre d’État soutient que le grief de détournement de procédure est sans fondement, l’adoption d’un nouveau numerus clausus ayant eu pour seul but d’assurer fonctionnement harmonieux de la profession ;

Vu les conclusions déposées le 10 août 2017 au Greffe Général au nom de M. P., Mme R. et M. S. par lesquelles les exposants soulèvent d’abord l’irrecevabilité totale de la requête en tant qu’elle constitue une requête collective ;

Attendu, sur le bien-fondé de la requête, que M. P., Mme R. et M. S. soutiennent que, à la date du 27 mars 2017, l’Ordonnance n° 6.323, dûment signée, était donc bien exécutoire, de sorte que les arrêtés d’autorisation pris sur son fondement pouvaient légalement être signés le même jour, leur entrée en vigueur étant seulement différée à la date de publication de l’Ordonnance ; que, du fait du mécanisme du numerus clausus, les conditions posées par l’article 5 de la loi du 12 juillet 2000, si elles doivent être respectées, ce qui a été le cas en l’espèce, ne sauraient être suffisantes ; que l’administration est nécessairement investie d’un pouvoir d’appréciation, ainsi qu’il ressort d’ailleurs de la jurisprudence du Tribunal Suprême ; que les critères auxquels elle recourt ne doivent pas nécessairement être publiés ; que les critères communiqués au requérant le 19 mai 2015 sont conformes aux fins poursuivies par le législateur ; que le requérant ne soutient pas que l’administration aurait dû déroger à ces critères en sa faveur ; que le Ministre d’État n’a jamais soutenu qu’il était lié par l’avis du conseil de l’Ordre ou par les critères appliqués par ce conseil ou qu’il aurait renoncé à une prise en compte individualisée des demandes ; que la comparaison détaillée faite, à la lumière de ces critères, entre le dossier de M. A. d’une part et, d’autre part, soit le dossier de M. P., soit celui de Mme R., soit enfin celui de M. S., montre que le Ministre d’État n’a pas commis d’erreur d’appréciation en écartant la demande de M. A. au profit de celles de M. P., de Mme R. et de M. S.; qu’enfin le requérant n’apporte aucun élément démontrant qu’il aurait été victime d’une discrimination ou d’un détournement de procédure ;

Vu la réplique enregistrée le 1er septembre 2017 au Greffe Général, par laquelle M. A. maintient les conclusions de sa requête, ajoutant qu’il est prêt à régulariser ses requêtes si le Président du Tribunal Suprême l’y invite, comme il doit le faire sur le fondement de l’article 17 de l’Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963 ; qu’il n’est légalement pas possible de procéder le même jour, sans aucune publicité préalable, à la fois à un changement de numerus clausus et à la désignation des bénéficiaires dès lors que cette procédure ferme toute possibilité de candidature nouvelle ; que c’est à tort que le Ministre d’État croit pouvoir interpréter la condition légale de recevabilité des candidatures tenant à l’existence « d’attaches sérieuses » comme excédant les liens d’ordre personnel et pouvant s’étendre à la vie professionnelle ; qu’en effet une telle interprétation a pour effet d’ajouter une condition qui ne figure pas dans la loi du 12 juillet 2000 ; qu’enfin, s’agissant du choix même des candidatures, les critères exposés en défense par le Ministre d’État sont appliqués de façon variable selon les candidats, comme en témoigne le recours surprenant à la notion d’ « enfant du pays », mais toujours dans un sens défavorable à M. A., ce qui révèle une inégalité de traitement flagrante ; qu’il est en particulier clair que le choix de M. P. ne repose pas sur des éléments objectifs ; qu’enfin les liens d’intérêts très forts qui, remontant au 15 septembre 2016, ne se sont révélés que postérieurement aux décision attaquées, entre le président de l’Ordre et M. P., et qui ont sans doute été décisifs, montrent que le gouvernement a été manipulé à son insu par le conseil de l’Ordre ;

Vu les mémoires déposés au Greffe Général le 12 septembre 2017 au nom de M. A. en réponse aux conclusions déposées le 10 août 2017 pour M. P., Mme R. et M. S., par lequel M. A., d’une part indique que, en l’absence d’invitation du Président du Tribunal Suprême, il a de lui-même déposé des mémoires de régularisation et que ces mémoires lui ont été restitués par le Greffe Général, et d’autre part reprend intégralement les observations contenues dans son mémoire en réplique enregistré le 1er septembre 2017, soulignant particulièrement que, à supposer que les critères énumérés dans la lettre du 19 mai 2015 soient légalement utilisables, ce serait en tout cas à condition qu’ils le soient de la même manière à tous les candidats, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce ;

Vu la duplique enregistrée au Greffe Général le 4 octobre 2017 par laquelle le Ministre d’État confirme l’intégralité de ses précédentes écritures, ajoutant seulement que rien dans la loi du 12 juillet 2000 n’exclut que les « attaches sérieuses avec la Principauté » puissent concerner aussi les attaches d’ordre professionnel ; que la jurisprudence du Tribunal Suprême reconnaît bien la possibilité de combler les lacunes d’un texte législatif quand il s’agit d’apprécier les compétences exigées des candidats ; que M. A. n’est recevable à contester les trois autorisations qu’il attaque qu’au regard des conditions légales mais non par comparaison avec ses propres mérites puisqu’il n’a pas attaqué la décision lui ayant refusé l’autorisation qu’il sollicitait ; qu’en tout état de cause, la situation de M. P. fait ressortir une expérience professionnelle à Monaco très significative, de cinq ans au total dans un cabinet d’expert-comptable ;

Vu les dupliques déposées au Greffe Général le 13 octobre 2017 par lesquelles M. P., Mme R. et M. S. confirment leurs précédentes observations, notamment sur l’irrecevabilité de la requête, ajoutant que le requérant, qui sait d’expérience qu’à chaque ouverture d’un nouveau contingent possible d’autorisations, toutes les demandes en souffrance sont examinées, n’a pas d’intérêt à se plaindre de l’impossibilité de voir, dans la procédure retenue en mars 2017, des candidats nouveaux venir le concurrencer ; que l’examen détaillé de chaque dossier montre que les critères de différenciation entre les candidats n’ont pas été appliqués de manière discriminatoire ; enfin que, s’agissant du grief de détournement de procédure, la réunion du conseil de l’Ordre du 28 février 2017 s’est tenue en présence du Commissaire du Gouvernement et du Conseiller de gouvernement pour l’économie et les finances, ce qui exclut toute « manipulation » ;

Vu la requête en triplique déposée au Greffe Général le 18 octobre 2017 par Me Sarah FILIPPI, avocat-défenseur au nom de M. A., demandant à ce qu’il lui soit accordé un ultime délai pour déposer une triplique ;

Vu l’ordonnance du Président du Tribunal Suprême du 24 octobre 2017 accordant à Me Sarah FILIPPI, avocat-défenseur au nom de M. A., un ultime délai pour déposer une triplique à laquelle le Ministre d’État pourra répondre dans le même délai ;

Vu le mémoire en triplique enregistré le 24 novembre 2017 au Greffe Général par lequel M. A. soutient que la fin de non-recevoir tirée de ce qu’il n’a pas attaqué le refus d’autorisation qui lui a été implicitement opposé est soulevée par le Ministre d’État pour la première fois dans sa duplique ; qu’en réalité une requête distincte, enregistrée au Greffe Général sous le n° 2018-01 a précisément cet objet ; que, s’agissant des intérêts communs entre M. P. et le président de l’Ordre, il est probable que ce dernier, qui aurait d’ailleurs dû s’abstenir de participer à la délibération du 28 février 2017, n’a pas informé le conseil de l’Ordre des conditions dans lesquels M. P. « réintégrait » un cabinet de la place, c’est-à-dire son propre cabinet ;

Vu la réponse à triplique enregistrée au Greffe Général le 21 décembre 2017 par laquelle le Ministre d’État confirme que, selon lui, la requête n’est recevable qu’en ce qui concerne l’autorisation délivrée à M. P., que les mémoires de régularisation déposés au nom de M. A. l’ont été hors délai et que la comparaison des mérites des candidats ne peut être examinée dans la cadre du recours ;

Vu la requête présentée par M. M.A., enregistrée au Greffe général de la Principauté de Monaco le 18 octobre 2017 sous le numéro TS 2018-01, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du rejet du recours gracieux, formé le 26 mai 2017 et rejeté implicitement le 28 septembre 2017, contre la décision implicite du 27 mars 2017 par laquelle a été rejetée la demande de M. A. tendant à être autorisé à exercer la profession d’expert-comptable ainsi que contre sa demande d’annulation des arrêtés ministériels n° 2017-183, 2017-184 et 2017-185 du 27 mars 2017 autorisant M. P., Mme R. et M. S. à exercer la profession d’expert-comptable, et à la condamnation de l’Etat aux dépens ;

Attendu qu’à l’appui de sa requête, M. A. expose qu’il a sollicité à de nombreuses reprises et depuis plusieurs années la même autorisation ; que toutes ses demandes ont été rejetées ; qu’à la lecture du Journal de Monaco il a découvert que, par Ordonnance Souveraine n° 6.323 du 27 mars 2017, le nombre maximal d’autorisations susceptibles d’être délivrées a été augmenté de trois et que le Ministre d’État lui a implicitement refusé l’autorisation d’exercer la profession d’expert-comptable tandis que, par trois arrêtés du même jour, trois autres professionnels ont été autorisés à exercer ; que, par lettre du 26 mai 2017, il a demandé l’annulation de l’ensemble de ces décisions et le réexamen des mérites respectifs des diverses candidatures examinées le 28 février 2017 par le conseil de l’Ordre des experts-comptables ; que ce recours gracieux a été implicitement rejeté le 28 septembre 2017 ;

Attendu que, dans sa requête, M. A. demande à ce que son recours soit joint au recours en cours d’instruction sous le numéro 2017-13 ; qu’il précise qu’en effet les moyens et les conclusions sont les mêmes que ceux qui sont développés dans sa requête enregistrée le 30 mai 2017 sous le numéro 2017-13 ainsi que dans ses mémoires en réplique enregistrés les 4 et 11 septembre 2017 ; que, selon cette nouvelle requête, M. A. conteste en effet, et pour les mêmes motifs que dans son recours n° 2017-13, la régularité de la procédure de délivrance des autorisations données le 27 mars 2017,  le recours à des critères de classement des candidatures non prévus par l’article 5 de la loi du 12 juillet 2000 relative à l’exercice de la profession d’expert-comptable et l’opposabilité de ces critères ; que M. A. soutient en outre que, dans la mesure où lui-même remplit toutes les conditions posées par la loi du 12 juillet 2000, ainsi que les critères mentionnés dans la lettre du conseiller de gouvernement pour l’économie du 19 mai 2015, il avait plus de titres à être autorisé à exercer la profession, de sorte que les arrêtés du 27 mars 2017 et le rejet implicite de sa candidature sont entachés d’une erreur d’appréciation, voire de droit ; que ces critères ont en outre été appliqués de manière arbitraire et désordonnée ; qu’enfin ces décisions doivent être annulées pour détournement de procédure et/ou de pouvoir ;

Vu les ordonnances du Président du Tribunal Suprême du 24 octobre 2017 ordonnant la communication de la procédure à Mme R., M. P. et M. S. ;

Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général le 15 décembre 2017 par laquelle le Ministre d’État se prononce en faveur de la jonction des deux recours n° 2017-13 et 2018-01 et conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que dans sa contre-requête enregistrée le 1er août 2017 et son mémoire en duplique déposé le 4 octobre 2017 sur le recours n° 2017-13, ajoutant que M. A. n’est pas recevable à faire comparer ses mérites à ceux des trois candidats autorisés le 27 mars 2017 dès lors qu’il n’a formé aucun recours contre la décision ayant implicitement rejeté sa candidature ; qu’en tout état de cause, l’application des critères figurant dans l’article 5 de la loi du 12 juillet 2000 et dans la lettre du 19 mai 2015 ne permet pas de considérer que la candidature du requérant serait meilleure que celles des candidats qui ont été retenus ;

Vu les conclusions déposées au Greffe Général le 22 décembre 2017 par lesquelles Mme R., M. P. et M. S. concluent au rejet de la requête n° 2018-01 par les mêmes moyens que dans les mémoires qu’ils ont déposés les 10 août et 13 octobre 2017 dans le cadre de l’instruction du recours n° 2017-13, précisant que l’application des critères figurant dans la lettre du 19 mai 2015 devait nécessairement conduire à écarter, à leur profit, la candidature de M. A. ;

SUR CE,

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment ses articles 25, 32 et 90-B ;

Vu l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 relative aux professions d’expert-comptable et de comptable agréé ;

Vu l’Ordonnance Souveraine n° 6.323 du 27 mars 2017 fixant le nombre maximum d’experts-comptables et de comptables agréés autorisés à exercer la profession ;

Vu les ordonnances des 31 mai 2017 et 24 octobre 2017 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Jean-Michel LEMOYNE de FORGES, Vice-président, comme rapporteur ;

Vu les procès-verbaux de clôture de la procédure en date du 2 février 2018 et du 5 mars 2018 ;

Vu les ordonnances du 20 avril 2018 par lesquelles le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l’audience de ce Tribunal du 6 juin 2018 ;

Ouï Monsieur Jean-Michel LEMOYNE de FORGES, Vice-président du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï le Procureur Général ;

Ouï Maître André BONNET, avocat au Barreau de Marseille, pour M. M.A. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIÉ, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de France pour l’État de Monaco ;

Ouï Maître Régis FROGER, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France pour Mme O.R., M. S.P. et M. B.W.S. ;

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

Considérant que les requêtes n° 2017-13 et n° 2018-01 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a dès lors lieu de les joindre pour qu’il y soit statué par une seule et même décision ;

Considérant que, selon les articles 1er et 5 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 relative aux professions d’expert-comptable et comptable agréé, l’exercice de ces professions est subordonné à une autorisation administrative, délivrée par arrêté ministériel, après avis motivé du conseil de l’Ordre des experts-comptables et comptables agréés ; que l’article 4 de la même loi dispose que le nombre maximal des experts-comptables est fixé par Ordonnance Souveraine prise après avis du même conseil ;

Considérant qu’en application de ces dispositions et sur proposition du conseil de l’Ordre réuni le 28 février 2017, le nombre maximal des experts-comptables et des comptables agréés susceptibles d’être autorisés à exercer a été porté de 32 à 35 par l’Ordonnance Souveraine n° 6.323 du 27 mars 2017 ; que, sur propositions du conseil de l’Ordre émises lors de la même réunion du 28 février 2017, le Ministre d’État a retenu les candidatures de M. S. P., Mme O.R. et M. B.W.S. et implicitement rejeté les autres candidatures en attente, dont celle de M. A. ; que l’Ordonnance Souveraine n° 6.323 et les arrêtés autorisant M. P., Mme R. et M. S. à exercer la profession d’expert-comptable ont été publiés au Journal de Monaco le même jour, 31 mars 2017 ; que, par lettre du 26 mai 2017, M. A. a formé un recours gracieux auprès du Ministre d’État tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet de sa candidature et des trois arrêtés ministériels ayant autorisé M. P., Mme R. et M. S. à exercer la profession d’expert-comptable ; que, le 30 mai 2017, M. A. a saisi le Tribunal Suprême d’une requête en annulation de ces trois arrêtés ministériels et le 18 octobre 2017, d’une requête en annulation du refus implicitement opposé, le 28 septembre 2017, à son recours gracieux du 26 mai 2017 ;

Sur les fins de non-recevoir opposées en défense

Considérant que, par une requête unique, enregistrée sous le numéro      2017-13, M. A. demande l’annulation des arrêtés ministériels n° 2017-183, 2017-184 et 2017-185 du 27 mars 2017 par lesquels le Ministre d’État a autorisé M. P., Mme R. et M. S. à exercer la profession d’expert-comptable ; que, eu égard à l’objet des décisions attaquées et aux conditions dans lesquelles elles ont été prises, les requêtes présentent entre elles un lien suffisant ; que, dès lors, les fins de non-recevoir tirées du caractère collectif de la requête doivent être écartées ;

Considérant qu’est également recevable la requête enregistrée sous le numéro 2018-01 et dirigée contre la décision implicite du 28 septembre 2017 par laquelle le Ministre d’État a rejeté le recours gracieux formé par M. A. le 26 mai 2017 contre les décisions du 27 mars 2017 qui ont, d’une part, rejeté implicitement sa demande d’autorisation d’exercice de la profession d’expert-comptable et, d’autre part, autorisé expressément M. P., Mme R. et M. S. à exercer la profession d’expert-comptable ;

Sur la légalité externe

Considérant qu’à tout moment toute personne intéressée est en mesure de demander à être autorisée à exercer la profession d’expert-comptable dès lors qu’elle remplit les conditions légales ; qu’il en résulte que l’augmentation du nombre maximal des autorisations susceptibles d’être délivrées n’implique ni l’organisation d’un appel à candidatures, ni un délai minimal entre la publication de l’Ordonnance Souveraine modifiant le nombre d’autorisations et l’examen des demandes ; que, par suite, M. A. ne peut soutenir utilement que la circonstance que l’augmentation du nombre maximal d’experts-comptables autorisés à exercer et les noms des trois nouveaux candidats bénéficiaires de cette augmentation aient été proposés par le conseil de l’Ordre le même jour, puis décidés le même jour et enfin publiés le même jour, affecterait la légalité des décisions attaquées ;

Considérant que le principe d’impartialité s’impose dans toute procédure administrative ; qu’eu égard aux liens d’intérêt étroits qui l’unissaient à M. P. depuis le 15 septembre 2016 au sein de la S.A.M. SJPS, le président du conseil de l’Ordre ne pouvait siéger lors de l’examen de cette candidature ; que, dès lors, l’arrêté n° 2017-183 a été pris à l’issue d’une procédure irrégulière et doit être annulé ;

Sur la légalité interne

Considérant qu’aux termes de l’article 25 de la Constitution : « La liberté du travail est garantie. Son exercice est réglementé par la loi. La priorité est assurée aux Monégasques pour l’accession aux emplois publics et privés, dans les conditions prévues par la loi ou les conventions internationales » ; que l’article 32 de la même Constitution dispose : « L’étranger jouit dans la Principauté de tous les droits publics et privés qui ne sont pas formellement réservés aux nationaux » ; que l’article 5 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 fixe les conditions suivantes pour exercer la profession d’expert-comptable : « 1° – être de nationalité monégasque ou justifier d’attaches sérieuses avec la Principauté et y avoir son domicile ; 2° – jouir de ses droits civils ; 3°- offrir toutes garanties de moralité professionnelle ; 4° – être titulaire d’un diplôme d’expert-comptable » ;

Considérant que, dans le cas où un texte prévoit la délivrance par l’autorité administrative d’une autorisation d’exercice professionnel sans avoir défini l’ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l’attribuer parmi ceux qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir, l’autorité compétente peut, alors même qu’elle n’est pas investie en la matière d’un pouvoir réglementaire d’application, encadrer l’action de l’administration, dans le but d’en assurer la cohérence, en déterminant par la voie de lignes directrices, sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en œuvre le texte en cause, dès lors qu’ils sont conformes aux objectifs de la législation considérée, sous réserve de motifs d’intérêt général conduisant à y déroger et de l’appréciation particulière de chaque situation ; que, si la publication de telles lignes directrices a pour effet de permettre aux administrés de les invoquer à leur profit, elle n’est pas obligatoire en l’absence de texte la prévoyant expressément ;

Considérant qu’il appartient au Ministre d’État d’appliquer, dans la délivrance des autorisations d’exercice de la profession d’expert-comptable, les conditions posées par la loi, interprétées conformément à la Constitution, et les lignes directrices que, le cas échéant, il a élaborées pour la mise en œuvre de la loi ;

Considérant que, si l’article 5 de la loi n° 1.231 précité contient les conditions légales que tout candidat aux fonctions d’expert-comptable doit remplir pour être autorisé à exercer, il ne permet pas de départager tous les candidats qui réunissent ces conditions lorsque leur nombre excède celui des autorisations disponibles ; qu’en conséquence, ainsi que M. A. en a été informé, à l’occasion d’une précédente candidature, par une lettre du Conseiller de gouvernement-ministre de l’économie et des finances en date du 19 mai 2015, l’administration a déterminé, comme il lui était loisible de le faire, des lignes directrices de différenciation des demandes, énumérées dans cette lettre du 19 mai 2015, et dont le Ministre d’État indique qu’il y a eu recours dans l’instruction des demandes en attente en février 2017 ; que, contrairement à ce que soutient M. A., ces lignes directrices ne constituent pas des conditions nouvelles par rapport à celles qui figurent dans l’article 5 de la loi n° 1.231, sont conformes aux principes constitutionnels précités ainsi qu’aux objectifs qui ressortent de cet article 5 et n’avaient pas à être publiées ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le Ministre d’État s’est fondé sur des éléments d’appréciation conformes aux conditions légales et lignes directrices rappelées ci-dessus, tout en respectant son obligation d’appréciation particulière de chaque situation ; que, dès lors, les moyens tirés de l’irrégularité des critères mentionnés dans la lettre du 19 mai 2015 ou des conditions de leur mise en œuvre doivent être écartés ;

Considérant que les appréciations portées sur les demandes de Mme R. et de M. S. ne sont pas entachées d’erreur manifeste d’appréciation ; que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ; que, par suite, M. A. n’est pas fondé à demander l’annulation du refus implicite qui lui a été opposé dans cette mesure ;

Considérant que l’annulation de l’autorisation délivrée à M. P. a pour conséquence d’entraîner l’annulation du refus implicite opposé à M. A., en tant que ce refus est fondé sur l’autorisation délivrée à M. P.; que, toutefois, cette annulation ne confère pas à M. A. un droit à obtenir ladite autorisation ; qu’il appartiendra au Ministre d’État de réexaminer la demande de M. A. en même temps que l’ensemble des demandes pendantes ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. A. n’est fondé à demander l’annulation que de la seule autorisation délivrée à M. P. et du rejet implicite de sa demande en tant qu’il était fondé sur cette autorisation ;

DÉCIDE :

Article 1er   : L’arrêté ministériel n° 2017-183 du 27 mars 2017 et la décision de rejet implicite de la demande de M. A., en tant qu’elle est fondée sur l’autorisation délivrée à M. P., sont annulés.

Article 2      : Le surplus de la requête est rejeté.

Article 3      : Les dépens sont partagés par tiers entre M. A.,  M. P. et le Ministre d’État.

Article 4      : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.

Ainsi jugé et délibéré par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de M. Didier LINOTTE, Président, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, M. Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Vice-président, Officier de l’Ordre de Saint-Charles, rapporteur, M. José SAVOYE, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, Mme Martine LUC-THALER, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, et M. Didier RIBES, membres titulaires ;

et prononcé le 19 juin 2018 en présence du Ministère Public, par Monsieur Didier LINOTTE, Président, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, Greffier en Chef.

Le Greffier en Chef,                                                 Le Président,