Décisions

19/12/2022

Communiqué TS 2022-31 du 19 décembre 2022 S.C.I. E. c/ Etat de Monaco

Tribunal Suprême

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COMMUNIQUÉ DE PRESSE

 

Monaco, le 19 décembre 2022

 

 

Le Tribunal Suprême rejette la demande de récusation du Président du Tribunal présentée par la S.C.I. Esperanza

 

 

Par une décision du 19 décembre 2022, le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco a rejeté la demande de récusation de M. Didier Linotte, Président du Tribunal, présentée par la S.C.I. Esperanza au motif qu’elle ne justifiait d’aucune cause légitime de récusation.

 

Le 30 septembre 2022, la S.C.I. Esperanza a saisi le Tribunal Suprême d’une requête tendant à l’annulation pour inconstitutionnalité de la loi n° 1.530 du 29 juillet 2022 prononçant la désaffectation, sur l’Esplanade des Pêcheurs, Quai Rainier Ier Grand Amiral de France et une partie du Quai Antoine Ier, d’une parcelle de terrain dépendant du domaine public de l’Etat.

Le 25 novembre, la société a présenté au Tribunal Suprême une demande tendant à la récusation dans cette affaire du président du Tribunal, M. Didier Linotte. Ce dernier n’ayant pas acquiescé à la récusation, le Tribunal Suprême s’est prononcé, hors sa présence, sur la demande de la SCI Esperanza.

Si l’Ordonnance Souveraine relative à l’organisation au fonctionnement du Tribunal Suprême n’impose pas qu’une décision du Tribunal statuant sur une demande de récusation soit motivée, eu égard au caractère personnel des informations qu’une telle demande peut contenir, elle ne l’interdit pas. En l’espèce, le Tribunal Suprême a estimé approprié de faire état des motifs essentiels de sa décision.

La société requérante a fondé sa demande de récusation sur le contenu d’un site internet anonyme ayant notamment publié des courriels de M. Linotte et d’autres personnes et formulant des allégations sur la probité de ces personnes ainsi que sur l’évocation du contenu de ce site par certains organes de presse.

Or, il doit être rappelé que les personnes concernées ont déposé plusieurs plaintes pénales contre X en raison notamment de la soustraction frauduleuse des documents publiés par ce site internet. Le Tribunal Suprême ne s’est pas prononcé dans sa décision sur la recevabilité de telles pièces, privilégiant l’examen au fond de la demande.

En revanche, il a rappelé qu’il appartient à tout justiciable qui demande la récusation d’un membre du Tribunal parce qu’il le suspecte de partialité de faire état de motifs sérieux et étayés. Le Tribunal Suprême a examiné les différents motifs avancés par la S.C.I. Esperanza.

Le premier motif de récusation dont faisait état la S.C.I. Esperanza était tiré de ce que, sur quatre décisions rendues par le Tribunal Suprême concernant le premier projet culturel et immobilier sur l’Esplanade des Pêcheurs, toutes l’avaient été sous la présidence de M. Didier Linotte et en faveur de la S.A.M. Caroli Immo.

Sur ce premier motif, le Tribunal Suprême a, tout d’abord, pris soin de rappeler le contenu des différentes décisions rendues dans ce précédent contentieux :

  • par une décision 2018-08 du 29 novembre 2018, le Tribunal Suprême a déclaré illégale la décision de retrait de la signature de l’Etat du protocole d’accord relatif à la conception, au financement et à la réalisation du projet et ordonné une expertise tendant à l’évaluation de la réalité et du montant des différents préjudices allégués par la S.A.M. Caroli Immo;
  • par une décision 2018-08-01 du 18 février 2019, il a rejeté le recours de l’Etat tendant à la rectification pour erreurs matérielles de la décision 2018-08 du 29 novembre 2018 ;
  • par une décision 2018-08-02 du 24 avril 2019, le Tribunal Suprême a rejeté le recours de l’Etat tendant à la suspension des opérations d’expertise décidées par le Tribunal dans sa décision 2018-08 du 29 novembre 2018 jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la tierce-opposition de l’association Automobile Club de Monaco ;
  • par une décision 2019-07 du 19 juin 2019, il a déclaré irrecevable la tierce-opposition de l’Automobile Club de Monaco tendant à rétracter la décision 2018-08 du 29 novembre 2018 ;
  • enfin, dans sa décision 2018-08 du 25 juin 2020, le Tribunal Suprême s’est prononcé sur les conclusions de la S.A.M. Caroli Immo tendant à l’octroi de dommages et intérêts pour un montant de 723.201.00 euros.

Alors que le collège expertal présenté par M. René Ricol, entouré d’experts désignés par les parties et de sapiteurs qualifiés, avait évalué le préjudice subi par cette société à 264.630.000 euros, le Tribunal a condamné l’Etat au versement d’une somme de 136.992.000 euros, majorés des intérêts légaux à compter du 23 février 2018, en réparation des préjudices subis.

Par la même décision, il a rejeté comme irrecevables les conclusions présentées par M. Franck Goddio tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui verser, pour les mêmes motifs, une somme de 193.420.001 euros.

Le Tribunal Suprême a, ensuite, souligné que ces différentes décisions ont été rendues collégialement par l’Assemblée plénière du Tribunal Suprême, toujours composée de cinq juges et dans des compositions, au demeurant, différentes.

Il a, en outre, mis en évidence que cette procédure et celle engagée par la S.C.I. Esperanza sont de natures différentes et concernent des parties différentes. En effet, alors que le premier contentieux, de nature indemnitaire, a opposé la S.A.M. Caroli Immo à l’Etat, le Tribunal a relevé que la procédure engagée par la S.C.I. Esperanza, relative à la conformité à la Constitution d’une loi de désaffectation d’une parcelle du domaine public en vue de la réalisation d’un nouveau projet, oppose la S.C.I. Esperanza à l’Etat.

Enfin et en tout état de cause, Le Tribunal a estimé que la circonstance que M. Linotte a participé aux formations de jugement ayant rendu ces décisions et veillé à ce que l’instruction de ces dossiers soit assurée conformément aux exigences du procès équitable ne permet pas de mettre en doute son impartialité dans la procédure engagée par la SCI Esperanza.

Les cours suprêmes étrangères, parmi lesquelles la Cour de cassation et le Conseil d’Etat de France, retiennent, dans le même sens, que le défaut d’impartialité d’une juridiction et plus encore d’un seul de ses membres ne saurait résulter du seul fait que la juridiction a rendu une ou plusieurs décisions défavorables à la partie demanderesse à la récusation ou favorables à son adversaire.

La S.C.I. Esperanza formulait ensuite diverses allégations de partialité à partir de plusieurs faits. Ces faits sont essentiellement les suivants :

  • Linotte a échangé, ponctuellement et en dehors de tout litige porté devant le Tribunal Suprême, sur des questions d’intérêt général avec des personnes exerçant des responsabilités au sein de l’Etat ou remplissant des missions à son service et des relations amicales se sont nouées entre eux.
  • En 2015, une association présidée par Maître François-Henri Briard a participé à l’organisation du déplacement aux Etats-Unis d’une délégation de juristes français et monégasques comprenant M. Linotte, en sa qualité de Président du Tribunal Suprême, et répondant à l’invitation de la Cour suprême des Etats-Unis. Me Briard représente la société Caroli Immo devant le Tribunal Suprême depuis 2018.
  • En 2016, M. Linotte a été chargé, à la demande du Gouvernement Princier, d’une mission d’arbitrage entre le groupe Vinci et le groupe Marzocco à propos de la construction d’un immeuble comprenant des logements domaniaux.

Sur ces différents points, Le Tribunal Suprême a apporté la même réponse. Il a jugé que les éléments présentés par la S.C.I. Esperanza au soutien de sa demande de récusation concernant les relations entretenues par M. Linotte avec des autorités, des avocats et des entreprises monégasques ne sont pas de nature à créer un doute légitime sur son impartialité dans la procédure engagée par la S.C.I. Esperanza.

Constatant que la S.C.I. Esperanza ne justifiait ainsi d’aucune cause légitime de récusation de M. Linotte, le Tribunal Suprême a rejeté sa demande de récusation.