Décisions

29/03/2018

Décision 2017-10 M. A. K. K. c/ État de Monaco

Tribunal Suprême

Principauté de Monaco
29 mars 2018
M. A. K. K.
Etat de Monaco

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Recours tendant, d’une part, à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision prise par le Conseiller de Gouvernement – Ministre de l’Intérieur dans sa note n° 2017.7906 du 14 avril 2017, notifiée le 4 mai 2017, lui retirant sa carte de résident monégasque, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint au Ministre d’Etat de produire la note n° 2017-7906 du 14 avril 2017, enfin, à la condamnation de l’Etat de Monaco au paiement d’une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi qu’aux entiers dépens.

En la cause de :

Monsieur A. K. K.,

Ayant élu domicile en l’étude de Maître Patricia REY, Avocat-Défenseur près la Cour d’Appel de Monaco ;

Contre :

L’état de Monaco, représenté par le Ministre d’Etat ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de France.

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée Plénière,

Vu la requête présentée par Monsieur A. K. K., enregistrée au Greffe général de la Principauté de Monaco le 19 mai 2017 sous le numéro TS 2017-10, tendant, d’une part, à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision prise par le Conseiller de Gouvernement – Ministre de l’Intérieur dans sa note n° 2017.7906 du 14 avril 2017, notifiée le 4 mai 2017, lui retirant sa carte de résident monégasque, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint au Ministre d’Etat de produire la note n° 2017.7906 du 14 avril 2017, enfin, à la condamnation de l’Etat de Monaco au paiement d’une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi qu’aux entiers dépens.

Ce faire :

Attendu que M. K. réside à Monaco depuis février 2012 et y exerce en qualité de commerçant ; que de son union libre avec Mme A. M. est né le 4 juillet 2015 un enfant et que, depuis leur séparation, celle-ci a engagé plusieurs procédures à son encontre ; que, par un jugement du 12 octobre 2016, le tribunal correctionnel de Grasse a condamné M. K. à une peine d’emprisonnement de huit mois avec sursis pour faits de violence commis à l’encontre de Mme M. ; que M. K. a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 19 octobre 2016 ; que c’est dans ce contexte que, le 4 mai 2017, il s’est vu notifier la décision prise par le Conseiller de Gouvernement – Ministre de l’Intérieur, dans sa note n° 2017.7906 en date du 14 avril 2017, lui retirant sa carte de résident monégasque et lui donnant deux mois pour quitter la Principauté de Monaco ou, du moins, ne plus se prévaloir du statut de résident monégasque ; que M. K., a alors saisi le Tribunal Suprême de la présente requête ;

Attendu qu’à l’appui de sa requête, M. K., qui sollicite à titre préalable la communication de la note n° 2017-7906 du 14 avril 2017 du Conseiller de Gouvernement – Ministre de l’Intérieur, soutient que la décision attaquée est entachée d’une violation des droits de la défense garantis par l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et d’une méconnaissance des articles 1er et 2 de la Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des décisions administratives, en tant qu’elle ne comporte l’énoncé d’aucun motif ;

Attendu que le requérant fait valoir ensuite qu’à supposer que la décision attaquée soit fondée sur sa condamnation pénale le 12 octobre 2016 par le tribunal correctionnel de Grasse, celle-ci est entachée d’une violation du principe de la présomption d’innocence garanti par l’article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et d’une erreur d’appréciation, dès lors que le jugement, frappé d’appel, n’est pas définitif ;

Attendu, enfin, qu’en application de l’article 90 B 1° de la Constitution, le requérant sollicite la condamnation de l’Etat de Monaco au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts, celui-ci ayant été contraint d’exposer des frais engagés pour la défense de ses intérêts et ayant subi « l’affront consistant à avoir été jugé coupable alors qu’aucune décision définitive n’a été rendue contre lui » ;

Vu l’ordonnance portant mesure d’instruction en date du 30 juin 2017 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a invité le Ministre d’Etat à produire la note n° 2017.7906 du 14 avril 2017 ;

Vu la contre-requête enregistrée le 21 juillet 2017 au Greffe Général par laquelle le Ministre d’Etat conclut au rejet de la requête, ainsi qu’à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu, tout d’abord, que le moyen tiré de l’insuffisance de motivation manque en fait, dès lors que le procès-verbal du 4 mai 2017 notifiant à M. K., la note n 2017.7906 du 14 avril 2017 l’informe que le retrait de sa carte de résident est motivé par les faits pour lesquels il a été condamné par le jugement du tribunal correctionnel de Grasse du 12 octobre 2016 à huit mois de prison avec sursis pour violence envers la mère de son fils ; que ce motif caractérise à l’évidence une menace pour l’ordre public et que le retrait constituait une réponse adaptée et proportionnée à cette menace ;

Attendu, ensuite, que le moyen tiré de la violation du principe de la présomption d’innocence garanti par l’article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme est inopérant et, en tout état de cause, mal fondé, sachant que le principe de la présomption d’innocence ne s’applique pas aux décisions administratives et que la circonstance que M. K., a interjeté appel du jugement le condamnant ne fait pas disparaître les faits constituant le fondement de la décision de retrait de sa carte de résident ;

Attendu, enfin, que le rejet des conclusions indemnitaires s’impose par voie de conséquence du rejet des conclusions d’annulation de la requête et, en tout état de cause, par le motif que la décision critiquée est fondée sur des faits dont la réalité a été constatée par la juridiction pénale et que le préjudice tant matériel que moral n’est établi ni dans son existence ni dans son quantum ;

Vu la réplique enregistrée le 25 août 2017 au Greffe Général par laquelle M. K., tend à ce qu’il plaise au Tribunal Suprême de donner acte de ce que la décision attaquée du 14 avril 2017 a été retirée, de constater que sa carte de résident ne lui a pas été restituée et de condamner l’Etat de Monaco à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts, ainsi qu’aux entiers dépens ;

Attendu que la décision du 20 juillet 2017 retirant la décision attaquée du 14 avril 2017, en raison du défaut de motivation de celle-ci, a été suivie d’une décision n° 24803 du Directeur de la Sûreté Publique en date du 31 juillet 2017, notifiée le 21 août 2017, lui retirant à nouveau sa carte de résident pour le même motif pris de sa condamnation par le tribunal correctionnel de Grasse ; que, de ce fait, le requérant est privé depuis le 4 mai 2017 de la possibilité de se prévaloir du statut de résident monégasque, situation qui lui cause de graves préjudices justifiant la condamnation de l’Etat de Monaco à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Vu le mémoire du Ministre d’Etat, enregistré le 29 août 2017, qui conclut au non-lieu à statuer sur la requête en annulation de M. K. par suite du retrait le 20 juillet 2017 de la décision attaquée, ainsi qu’à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Vu la duplique du Ministre d’Etat, enregistrée le 29 septembre 2017 faisant valoir que les conclusions de Monsieur K. tendant à voir constater que sa carte de résident ne lui a pas été restituée sont irrecevables ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B 1° ;

Vu l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l’Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu l’ordonnance du 23 mai 2017 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Madame Martine LUC-THALER, Membre titulaire, comme rapporteur ;

Vu l’ordonnance n° 2017-11 du 2 août 2017 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a prononcé un non-lieu à statuer sur la requête tendant au sursis à l’exécution de la décision du 14 avril 2017 ;

Vu le procès-verbal de clôture de la procédure du 10 octobre 2017 ;

Vu l’ordonnance du 15 janvier 2018 par laquelle M. le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l’audience de ce Tribunal du 15 mars 2018;

A l’audience du 15 mars 2018 sur le rapport de Madame Martine LUC-THALER, Membre titulaire du Tribunal Suprême ;

Ouï Maître Patricia REY plaidant pour Monsieur A. K. K. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIÉ, pour l’État de Monaco ;

Ouï le Procureur Général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré

Considérant que M. A. K. K. demande au Tribunal Suprême d’annuler pour excès de pouvoir la décision prise par le Conseiller de Gouvernement – Ministre de l’Intérieur dans sa note n° 2017.7906 du 14 avril 2017, notifiée le 4 mai 2017, lui retirant sa carte de résident monégasque, d’enjoindre au Ministre d’Etat de produire la note n°2017-7906 du 14 avril 2017, enfin de condamner l’Etat de Monaco au paiement d’une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi qu’aux entiers dépens ;

Considérant que la décision attaquée du Conseiller de Gouvernement – Ministre de l’Intérieur a été rapportée par une décision du 20 juillet 2017 du Directeur de la Sûreté Publique ;

Considérant qu’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une décision administrative n’a d’autre objet que d’en faire prononcer l’annulation avec effet rétroactif ; que si, avant que le juge ait statué, l’acte attaqué est rapporté par l’autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif, il emporte alors disparition rétroactive de l’ordonnancement juridique de l’acte contesté, ce qui conduit à ce qu’il n’y ait plus lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite de la requête dont il était saisi ; que tel est le cas en l’espèce ;

Considérant que l’article 90 B, 1° de la Constitution du 17 décembre 1962 dispose : « En matière administrative, le Tribunal Suprême statue souverainement (…) sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les Ordonnances Souveraines prises pour l’exécution des lois, ainsi que sur l’octroi des indemnités qui en résultent » ; que le non-lieu à statuer, tout comme le rejet au fond des conclusions aux fins d’annulation, entraîne par voie de conséquence le rejet des conclusions aux fins d’indemnisation ;

Considérant que les conclusions de M. K. tendant à voir constater que sa carte de résident ne lui a pas été restituée sont irrecevables ;

DÉCIDE :

Article 1er :   Il n’y a pas lieu de statuer sur la requête en annulation.

Article 2 :    Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 :    Les dépens sont mis à la charge de l’Etat de Monaco.

Article 4 :    Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.

Ainsi jugé et délibéré par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, Président, Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Officier de l’Ordre de Saint-Charles, Vice-président, Monsieur José SAVOYE, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, Madame Martine LUC-THALER, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, rapporteur, et Monsieur Didier RIBES, Membres titulaires,

et prononcé le vingt-neuf mars deux mille dix-huit en présence du Ministère public, par Monsieur Didier LINOTTE, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, Greffier en chef.

Le Greffier en Chef,                                       Le Président,