Décisions

16/02/2015

Décision 2014-18 Mme n. SL c/ État de Monaco

Tribunal Suprême

Monaco
16 février 2015
Dame n. SL c
État de Monaco

Abstract

Compétence
Contentieux administratif. Recours en annulation. Acte administratif individuel
Recours pour excès de pouvoir
Étranger. Décision administrative de refoulement du territoire. Décision fondée sur des faits matériellement exacts. Décision non entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Protocole additionnel n° 4 à la même convention. Inapplicabilité aux personnes non résidentes régulièrement sur le territoire de l’État.
Loi n° 1.312 du 29 juin 2006 sur la motivation des actes administratifs. Décision de refoulement non subordonnée à la formulation des observations écrites ou orales de la requérante.
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés publiques. Droit au respect de la vie privée et familiale. Ingérence de l’autorité publique dans le cas limitativement énumérés. Décision administrative conforme aux dispositions de la Convention. Atteinte non disproportionnée à la vie privée. Décision légale (oui).

Le Tribunal Suprême,

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête présentée par Madame n. SL., enregistrée au Greffe général de la Principauté de Monaco le 7 juillet 2014 sous le numéro TS 2014-18, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du Ministre d’État n° 13-24 du 9 septembre 2013, par lequel celui-ci a décidé de son refoulement du territoire de la Principauté de Monaco, notifié le 11 mai 2014 par la Direction de la Sûreté Publique, ainsi que la condamnation de l’État de Monaco aux entiers dépens ;

SUR CE :

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90-B ;

Vu l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ses protocoles additionnels n° 7 et 4 ;

Vu la Convention franco-monégasque de voisinage du 18 mai 1963 modifiée ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu l’Ordonnance Souveraine n° 1.352 du 19 mars 1964 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers modifiée, et notamment son article 22 ;

Vu la décision du 16 février 2015 avant dire droit par laquelle le Tribunal Suprême a invité le Ministre d’État de produire les pièces établissant tous les faits mentionnés dans l’arrêté attaqué du 9 septembre 2013 ;

Vu le mémoire de production déposé au Greffe Général le 13 mars 2015 par Maître Christophe SOSSO, au nom du Ministre d’État ;

Vu les observations complémentaires déposées au Greffe Général le 17 avril 2015 par Maître Régis

BERGONZI, au nom de Madame n. SL. ;

Vu le procès-verbal complémentaire de clôture de la procédure en date du 6 mai 2015 ;

Vu l’Ordonnance du 20 avril 2015 par laquelle M. le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l’audience de ce Tribunal du 1er juin 2015 ;

Ouï Madame Martine LUC-THALER, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d’appel de Monaco pour Madame n. SL. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France pour l’État de Monaco ;

Ouï le Ministère Public en ses conclusions ;

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

Considérant que l’arrêté attaqué du 9 septembre 2013 par lequel le Ministre d’État a décidé le refoulement du territoire de la Principauté de Monaco de Mme n. SL., domiciliée sur le territoire de la commune de Beausoleil (France), est motivé par la considération que le comportement de celle-ci a troublé l’ordre public et ainsi compromis « la sécurité et la tranquillité publiques ou privées » à raison de faits ayant nécessité à plusieurs reprises soit son signalement aux services de police, soit l’intervention sur place de ces derniers ;

Considérant qu’en réponse à l’invitation qui lui a été adressée par le Tribunal Suprême le 16 février 2015 de produire dans le délai d’un mois les pièces établissant tous les faits mentionnés dans l’arrêté attaqué du 9 septembre 2013, le Ministre d’État a produit quatre pièces :

– une main-courante saisie le 19 mai 2011 faisant état de l’intervention des services de police, à la demande du PC opérationnel, pour « des demoiselles en faction devant l’hôtel Fairmont », dont Mme n. SL. « connue défavorablement pour BVP à notre fichier central », du contrôle de leur identité et de l’obligation qui leur a été faite de quitter les lieux ;

– une main-courante saisie le 24 juillet 2012 relative à une altercation survenue entre Mme n. SL. et un client de l’hôtel Méridien Beach Plaza au sujet du montant des prestations fournies par la requérante, ayant nécessité l’intervention des services de police, puis, après arrangement amiable trouvé entre les deux intéressés, conduite de la requérante dans les locaux de la police ;

– deux procès-verbaux en date du 12 mars 2013 par lesquels deux prostituées de nationalité brésilienne ont déclaré qu’à la fin de l’année 2011, la requérante leur aurait demandé la rétrocession d’une somme de 50 euros chacune au motif que c’est elle qui leur avait présenté les clients en vue de l’exécution d’une prestation tarifée à hauteur de 500 euros chacune ;

Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, que les faits invoqués par le Ministre d’État pour justifier la décision attaquée seraient inexistants ou matériellement inexacts ou que la décision attaquée serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation ;

Considérant que les stipulations du paragraphe 1 de l’article 1er du protocole additionnel n° 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l’article 2 du protocole additionnel n°4 à ladite convention sur lesquelles se fonde Mme n. SL. visent le cas d’un étranger résidant régulièrement sur le territoire d’un État ; qu’elles sont inapplicables à Mme n. SL. qui ne résidait pas en Principauté ;

Considérant qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe applicable même sans texte n’impose que les décisions de refoulement, qui doivent être motivées en application de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 sur la motivation des actes administratifs, doivent intervenir après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales, avec l’assistance de son conseil ou du mandataire de son choix ; que dès lors le moyen tiré de la violation du principe des droits de la défense est inopérant ;

Considérant que, si l’article 8 de la Convention européenne susvisée dispose en son paragraphe 1er que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale », le paragraphe 2 autorise l’ingérence d’une autorité publique « prévue par la loi dès lors qu’elle constitue une mesure nécessaire […] à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » ; que la décision attaquée répondait aux conditions prévues au paragraphe 2 desdites stipulations ; qu’au surplus, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’atteinte portée à la vie privée de Mme n. SL. soit disproportionnée au regard des motifs de la mesure de refoulement ; qu’elle n’a en effet aucune attache familiale à Monaco et n’établit pas qu’elle reçoit sur le territoire monégasque des soins qui ne pourraient l’être sur le territoire français ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation présentées par Mme n. SL. ne peuvent qu’être rejetées.

DÉCIDE

Article 1er : La requête de Mme n. SL. est rejetée.

Article 2 : Les dépens sont mis à la charge de Mme n. SL.

Article 3 : Expédition de la présente décision sera transmise à S.E. M. le Ministre d’État et à Madame n. SL.

(1) Voir également la décision avant dire droit du 16 février 2015. – NDLR.