Décisions

16/02/2023

Communiqué TS 2023-03 du 16 février 2023 Société P. c/ Etat de Monaco

Tribunal Suprême

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COMMUNIQUÉ DE PRESSE

 

Monaco, le 16 février 2023

 

 

Le Tribunal Suprême rejette la demande de récusation du Président du Tribunal présentée par la S.A.M. des entreprises J.-B. Pastor & fils en l’absence de cause légitime de récusation

 

 

Par une décision du 16 février 2023, le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco a rejeté la demande de récusation de M. Didier Linotte, Président du Tribunal, présentée par la S.A.M. des entreprises J.-B. Pastor & fils au motif qu’elle ne justifiait d’aucune cause légitime de récusation.

 

Le 18 novembre 2022, la S.C.P. Plata a saisi le Tribunal Suprême d’une requête tendant notamment à l’annulation d’un permis de construire modificatif délivré par l’Etat pour la réalisation de l’opération immobilière Grand Ida et dont le bénéficiaire est la S.A.M. des entreprises J.-B. Pastor & fils. Le 20 novembre, M. Didier Linotte, Président du Tribunal, a ordonné que cette procédure opposant la S.C.P. Plata à l’Etat soit communiquée à la S.A.M. des entreprises J.-B. Pastor & fils pour lui permettre d’y faire valoir ses droits et intérêts. Après avoir produit des observations au soutien de l’Etat, la société a présenté, le 25 janvier 2023, une demande de récusation de M. Didier Linotte. L’Etat, au soutien de laquelle la S.A.M. des entreprises J.-B. Pastor & fils intervient dans la procédure, non seulement n’a pas formulé une telle demande mais a estimé qu’elle n’était pas recevable à le faire.

Didier Linotte n’ayant pas acquiescé à la demande de récusation, le Tribunal Suprême s’est prononcé, hors sa présence, sur la demande de la S.A.M. des entreprises J.-B. Pastor & fils.

La demande de récusation était fondée sur le contenu d’un site internet anonyme et ses allégations

Il appartient à tout justiciable partie à un litige qui demande la récusation d’un membre du Tribunal Suprême parce qu’il le suspecte de partialité de faire état de motifs sérieux et étayés.

En l’espèce, la société requérante a fondé sa demande de récusation sur le contenu d’un site internet anonyme ayant notamment publié des courriels de M. Linotte et d’autres personnes et formulant des allégations sur la probité de ces personnes ainsi que sur l’évocation du contenu de ce site par certains organes de presse.

Le Tribunal Suprême a constaté que, si la société indiquait que son dirigeant n’est pas l’auteur de ce site internet, les éléments sur lesquels elle entend se fonder ont été obtenus dans des conditions ayant donné lieu au dépôt de plusieurs plaintes pénales et à l’ouverture d’enquêtes préliminaires.

Il a néanmoins estimé qu’une telle circonstance n’est pas de nature à faire obstacle à la prise en compte, dans cette procédure, de ceux des éléments dont la véracité n’est pas discutée. Il a donc examiné la pertinence des différents motifs avancés par la S.A.M. des entreprises J.-B. Pastor & fils.

La participation de M. Linotte au jugement de litiges tranchés par le Tribunal Suprême en défaveur de la société ou en faveur de son adversaire ne peut permettre de mettre en doute son impartialité pour se prononcer dans cette affaire

Le premier motif de récusation dont faisait état la S.A.M. des entreprises J.-B. Pastor & fils était tiré de la participation de M. Linotte au jugement de litiges qui auraient été tranchés par le Tribunal Suprême en faveur d’une partie représentée par Maître François-Henri Briard, avocat de la S.C.P. Plata.

Le Tribunal a estimé que la circonstance que M. Linotte a participé aux formations collégiales de jugement du Tribunal Suprême statuant en assemblée plénière qui ont rendu les décisions en cause n’est pas susceptible de mettre en doute son impartialité dans la présente procédure.

Les cours suprêmes étrangères, parmi lesquelles la Cour de cassation et le Conseil d’Etat de France, retiennent, dans le même sens, que le défaut d’impartialité d’une juridiction et plus encore d’un seul de ses membres ne saurait résulter du seul fait que la juridiction a rendu une ou plusieurs décisions défavorables à la partie demanderesse à la récusation ou favorables à son adversaire.

Les relations professionnelles et personnelles de M. Linotte ne sont pas de nature à créer un doute légitime sur son impartialité pour participer au jugement de cette affaire

La S.A.M. des entreprises J.-B. Pastor & fils formulait ensuite diverses allégations de partialité en raison des relations entretenues par Didier Linotte avec plusieurs personnes.

Le Tribunal Suprême a tout d’abord précisé que, dans un tel cas, il lui revient d’apprécier si l’ancienneté et l’intensité de ces relations sont susceptibles de faire naître, chez les justiciables, un soupçon raisonnable de partialité, compte tenu des caractéristiques géographiques et démographiques de la Principauté.

Les faits en cause sont essentiellement les suivants :

1. M. Linotte a échangé, ponctuellement et en dehors de tout litige porté devant le Tribunal Suprême, sur des questions d’intérêt général avec des personnes exerçant des responsabilités au sein de l’Etat ou remplissant des missions à son service et des relations amicales se sont nouées entre eux.

Le Tribunal Suprême a estimé que cette seule circonstance n’est pas, par elle-même, de nature à mettre en doute l’impartialité de M. Linotte dans la procédure.

Par ailleurs, le Tribunal a constaté qu’il ne ressort d’aucune pièce du dossier que M. Linotte aurait préalablement échangé avec des personnes exerçant des responsabilités au sein de l’Etat ou conseillant la S.C.P. Plata sur le projet pour la réalisation duquel le permis de construire modificatif attaqué a été délivré.

Le Tribunal a enfin jugé que les éléments produits par la S.A.M. des entreprises J.-P. Pastor ne permettent aucunement de caractériser un intérêt personnel de nature à créer un doute légitime sur l’impartialité de M. Linotte dans cette procédure.

2. Le Tribunal Suprême a estimé également que les relations que son président entretient, dans l’exercice de ses fonctions ou à titre privé, avec de nombreux avocats-défenseurs et avocats ne sont pas, dans cette seule mesure, de nature à créer un doute légitime sur son impartialité.

3. En 2015, une association présidée par Maître François-Henri Briard a participé à l’organisation du déplacement aux Etats-Unis d’une délégation de juristes français et monégasques comprenant M. Linotte, en sa qualité de Président du Tribunal Suprême, et répondant à l’invitation de la Cour suprême des Etats-Unis. Me Briard représente la S.C.P. Plata devant le Tribunal Suprême depuis novembre 2022.

Pour le Tribunal Suprême, cette circonstance ne peut pas suffire à faire naître un doute légitime sur l’impartialité de M. Linotte dans la présente procédure.

4. Enfin, en 2016, M. Linotte a été chargé, à la demande du Gouvernement Princier, d’une mission d’arbitrage entre le groupe Vinci et le groupe Marzocco à propos de la construction d’un immeuble comprenant des logements domaniaux.

Le Tribunal Suprême a estimé que cette circonstance ne peut pas constituer un motif sérieux de suspecter M. Linotte de partialité à l’égard de la S.A.M. des entreprises J.-B. Pastor & fils.

Le Tribunal Suprême a constaté que la S.A.M. des entreprises J.-B. Pastor & fils ne justifiait ainsi d’aucune cause légitime de récusation de M. Linotte. Comme il l’avait déjà fait le 19 décembre dernier pour une demande identique présentée par une société ayant le même dirigeant, le Tribunal Suprême a rejeté la demande de récusation présentée par la S.A.M. des entreprises J.-B. Pastor & fils.