Décisions

06/12/2021

Communiqué TS 2021-18, 2021-19 Chambre monégasque de l’horlogerie et de la joaillerie et autres c/ Etat de Monaco

Tribunal Suprême

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Le Tribunal Suprême rappelle le cadre juridique applicable en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme 

Par une décision du 2 décembre 2021, le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco a fait droit à la demande de la Chambre monégasque de l’horlogerie et de la joaillerie, de l’Union des commerçants et artisans de Monaco et de la Fédération des entreprises monégasques tendant à l’annulation des articles 1eret 2 de l’Ordonnance Souveraine n° 8.634 du 29 avril 2021.

 

1. Le cadre juridique de la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la corruption

La décision du Tribunal Suprême rappelle, tout d’abord, qu’en vertu d’un accord monétaire conclu le 29 novembre 2011 avec l’Union européenne, la Principauté de Monaco s’est engagée à prendre des mesures d’effets équivalents aux directives de l’Union européenne relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux conformément aux recommandations du groupe d’action financière internationale contre le blanchiment des capitaux (GAFI).

Elle précise, ensuite, qu’eu égard à l’intérêt général qui s’attache en Principauté de Monaco à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la corruption, il est loisible aux autorités publiques de prendre toute autre mesure destinée à assurer l’effectivité de la défense de l’ordre public financier et de la protection de la sûreté publique.

Enfin, le Tribunal Suprême juge que, dans tous les cas, les obligations auxquelles sont soumises les personnes assujetties doivent être proportionnées aux risques présentés par les activités en cause et compatibles avec le respect des droits fondamentaux garantis par le titre III de la Constitution.

 

2. L’illégalité des articles 1er et 2 de l’Ordonnance Souveraine attaquée du 29 avril 2021

L’annulation prononcée par le Tribunal Suprême ne résulte pas du constat d’une violation, par l’Ordonnance Souveraine attaquée, des droits fondamentaux garantis par la Constitution mais du non-respect des exigences de la hiérarchie des normes.

Il peut être rappelé, à cet égard, que la Constitution distingue, d’une part, les Ordonnances Souveraines prises pour l’exécution d’un texte supérieur et, d’autre part, celles prises par le Prince dans l’exercice de Son pouvoir normatif propre. Les premières sont prises soit pour l’exécution de la Constitution elle-même, soit, en vertu de l’article 68 de la Constitution, pour l’exécution d’une loi ou l’application d’une convention internationale.

Les règles en vigueur en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la corruption sont définies par la loi n° 1.362 du 3 août 2009. Cette loi a été modifiée à quatre reprises, en dernier lieu par la loi n° 1.503 du 23 décembre 2020 pour prendre les mesures d’effet équivalent à la directive 2018/843/UE du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, dite « 5ème directive ». La loi renvoie à une Ordonnance Souveraine d’exécution le soin de préciser les conditions et modalités de son application. Celles-ci ont été fixées par une Ordonnance Souveraine n° 2.318 du 3 août 2009, elle aussi plusieurs modifiée. À la suite de l’adoption de la loi du 23 décembre 2020, l’Ordonnance Souveraine du 3 août 2009 a été modifiée par l’Ordonnance Souveraine, attaquée, du 29 avril 2021.

Le Tribunal Suprême a estimé que l’Ordonnance Souveraine du 3 août 2009 et l’Ordonnance Souveraine du 29 avril 2021 qui la modifie ont le caractère d’Ordonnances Souveraines prises pour l’exécution d’une loi, ainsi d’ailleurs que le faisait valoir le Ministre d’Etat devant le Tribunal.

La loi du 3 août 2009 énumère les différentes catégories de personnes qui y sont assujetties et définit l’ensemble des obligations, notamment de déclaration et d’information, s’imposant à elles afin de lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la corruption. Ces obligations diffèrent selon les catégories de personnes concernées. La loi, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 décembre 2020, distingue, en particulier, d’une part, « les commerçants et personnes, négociant des biens, uniquement dans la mesure où la valeur de la transaction ou d’une série de transactions liées est réglée en espèces pour un montant égal ou supérieur » à 10.000 euros et, d’autre part, les autres personnes non expressément visées par la loi qui, à titre professionnel, réalisent, contrôlent ou conseillent des opérations entraînant des mouvements de capitaux, uniquement pour lesdites opérations.

L’article 1er de l’Ordonnance du 19 avril 2021 est venu préciser que les commerçants et personnes organisant la vente ou la location d’antiquités, de matériaux précieux, pierres précieuses, métaux précieux, bijoux, horlogerie, maroquinerie, véhicules terrestres, aériens ou maritimes ou d’autres objets de grande valeur relevaient de la seconde catégorie citée. Toutefois, le Tribunal Suprême a constaté qu’eu égard à la généralité des termes utilisés par la loi, ces personnes entraient dans la première catégorie citée. Il en a déduit que l’Ordonnance attaquée avait méconnu, sur ce point, la portée de la loi.

Par son article 2, l’Ordonnance du 29 avril 2021 a soumis les mêmes professionnels à une obligation déclarative nouvelle, non prévue par la loi. Le Tribunal Suprême a jugé que cette Ordonnance d’exécution, en instituant elle-même une telle obligation, était entachée d’incompétence dès lors que le législateur avait défini l’ensemble des obligations applicables en la matière.