12/03/2020
Communiqué Décision TS 2019-12 Société JC DECAUX MONACO
Le Tribunal Suprême juge que le choix du prestataire des abri-voyageurs connectés est entaché d’une illégalité formelle
Par une décision du 5 mars 2020, le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco a jugé illégales les décisions du Gouvernement retenant la proposition de la société CLEAR CHANNEL et rejetant celle de la société JC DECAUX MONACO pour l’installation d’abri-voyageurs connectés. Il a estimé que ces décisions étaient insuffisamment motivées, en méconnaissance de l’obligation posée par la loi du 29 juin 2006.
Dans le cadre du programme Smart City mis en œuvre par la Direction interministérielle chargée du développement numérique, l’Etat a engagé en 2018 une consultation pour le remplacement des abri-voyageurs existants par des abri-voyageurs connectés. Il a sollicité deux sociétés spécialisées, la société JC DECAUX MONACO et la société CLEAR CHANNEL.
Après des pourparlers informels ayant abouti à de premières propositions de la part de ces deux sociétés, la Direction de l’Aménagement Urbain leur a rappelé les conditions techniques qui devaient être respectées et leur a demandé de confirmer leur proposition.
A la suite de la réception des propositions des deux sociétés, la Direction de l’Aménagement Urbain a informé la société JC DECAUX MONACO que sa proposition n’avait pas été retenue.
Postérieurement, l’Etat a signé avec la société choisie une convention par laquelle cette dernière s’engager à fournir et à installer sur le domaine public les mobiliers urbains et les équipements de diffusion numérique ainsi qu’à en assurer la maintenance. Cette convention vaut autorisation d’occupation précaire du domaine public par les mobiliers urbains en contrepartie du versement par la société CLEAR CHANNEL d’une redevance à l’Etat.
Cette société a également conclu avec la Commune de Monaco une convention par laquelle la société, en contrepartie du versement d’une redevance à la commune, est autorisée à exploiter, sous forme de concession de régie publicitaire, le réseau des panneaux d’affichage papier ou numérique des abri-voyageurs de la Principauté.
Enfin, l’Etat, la Commune et la société CLEAR CHANNEL ont signé une convention tripartite de partenariat.
La société JC DECAUX MONACO a saisi le Tribunal Suprême d’un recours tendant, d’une part, à l’annulation des décisions rejetant sa proposition et retenant celle de la société CLEAR CHANNEL, d’autre part, à l’indemnisation du préjudice qu’elle estime avoir subi de ce fait, estimé à 2.101.902 euros.
Plusieurs points doivent être signalés :
1 – La compétence du Tribunal Suprême
Le Tribunal Suprême n’est pas le juge des contrats signés entre les administrations et des personnes privées et des conditions d’exécution de ces contrats, cette compétence appartenant au Tribunal de première instance.
Pour autant, il confirme sa jurisprudence ancienne selon laquelle il est seul compétent à l’égard des actes administratifs détachables des contrats publics parmi lesquels on trouve la décision rejetant l’offre d’une société candidate à l’attribution d’un contrat public.
2 – Principe d’égal accès des candidats mis en concurrence par l’administration
Le Tribunal Suprême a précisé, à l’occasion du litige qui lui était soumis, que le principe d’égalité, garanti par l’article 17 de la Constitution, impose que l’administration qui procède à une mise en concurrence en vue de choisir un cocontractant veille à l’égal accès des candidats qu’il a sollicités ou qui ont répondu à un appel d’offres.
3 – Le contrôle du choix du prestataire des abri-voyageurs connectés
La société JC DECAUX MONACO a contesté la procédure suivie par l’Etat pour choisir le prestataire des futurs abri-voyageurs connectés. Le Tribunal Suprême a écarté l’ensemble des critiques dirigées contre la procédure suivie par l’administration. Il a notamment considéré que le projet de renouvellement des abri-voyageurs n’entrait pas dans la catégorie des marchés de l’Etat et que, par voie de conséquence, les exigences prévues par l’Ordonnance Souveraine du 23 octobre 1959 régissant ces marchés ne lui étaient pas applicables.
Au vu des pièces qui lui étaient fournies, le Tribunal Suprême a également estimé que l’Etat n’a pas méconnu les principes d’égalité, de sécurité juridique et d’impartialité de l’administration. En effet, il a relevé que les deux sociétés avaient reçu les mêmes informations concernant tant les conditions techniques et financières du projet que les modalités de présentation de leurs propositions. La société JC DECAUX MONACO a, par ailleurs, été mise en mesure de présenter utilement sa proposition avant que l’Etat choisisse l’attributaire du projet.
En revanche, le Tribunal a constaté que l’Etat a méconnu son obligation formelle de motiver sa décision rejetant la proposition de la société JC DECAUX Monaco. En effet, le choix du prestataire est indissociable de l’autorisation qui doit lui être donnée d’installer sur le domaine public les abri-voyageurs connectés. Et le refus d’une telle autorisation, qu’implique le refus de la proposition, doit être motivé en vertu de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs. En l’espèce, en se bornant à indiquer que la proposition de la société JC DECAUX MONACO ne répondait pas aux attentes de la Principauté, sans expliquer davantage son choix, l’Etat a insuffisamment motivé sa décision et l’a ainsi entachée d’une illégalité formelle.
4 – L’illégalité des décisions attaquées et ses conséquences
L’illégalité des décisions constatée par le Tribunal Suprême devrait, en principe, conduire à leur annulation. Il revient toutefois au Tribunal de prendre en considération les effets d’une telle annulation tant pour la sauvegarde de l’intérêt général que pour l’effectivité des droits des justiciables et, le cas échéant, d’en limiter les effets qui apparaîtraient manifestement excessifs.
Le Tribunal Suprême a décidé d’ordonner une mesure d’instruction pour sa complète information et de reporter sa décision sur les demandes d’annulation et d’indemnisation. Il a ainsi prescrit que lui soient présentées avant le 20 mars 2020 les observations de l’État et de la société requérante sur les effets de l’annulation susceptible d’être prononcée sur les intérêts publics et privés en présence, notamment les conséquences sur les conventions conclues postérieurement par l’Etat, la Commune de Monaco et la société CLEAR CHANNEL ainsi que sur les installations en cause. L’affaire sera à nouveau examinée lors de l’audience du 9 avril 2020.