Décisions

02/07/1999

Décision Association Des Locataires De Monaco c/ le Ministre d’État

Tribunal Suprême

Monaco

02 juillet 1999

ASSOCIATION DES LOCATAIRES DE MONACO

Abstract

Compétence
Contentieux administratif – Recours en annulation – Recours dirigé contre un acte réglementaire.
Acte Administratif
Réglementation – Ordonnance Souveraine prise en vertu de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 – Fixation de la valeur locative des locaux à usage d’habitation – Rejet.
Le Tribunal Suprême,

Siégeant et délibérant en formation plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête, enregistrée le 20 janvier 1999, de l’Association des Locataires de la Principauté de Monaco, tendant à l’annulation de l’ article de l’Ordonnance Souveraine n° 13837 du 24 décembre 1998 portant majoration, à compter du 1er janvier 1999, des prix de base au mètre carré servant à la détermination de la valeur locative des locaux à usage d’habitation soumis aux prescriptions de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 ;

Ce faire,

Attendu que la loi n° 497 du 25 mars 1949 relative aux conditions de location des locaux à usage d’habitation prévoyait que le loyer de base au mètre carré et les taux de divers coefficients de correction seraient fixés par Ordonnance Souveraine, de telle sorte que le loyer d’un appartement de deux pièces soit égal au douze pour cent du salaire de base visé à l’ article de la loi n° 455 du 27 juin 1947 ;

Attendu que la loi n° 497 du 25 mars 1949 a été remplacée par l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiant et codifiant la législation relative aux conditions de location des locaux à usage d’habitation, dont l’article 14 a maintenu en son alinéa 4 la référence au salaire de base ;

Attendu que l’ article de la loi n° 455 du 27 juin 1947 a été modifié par la loi n° 1059 du 28 juin 1983 , changeant le salaire de base dans ses modalités mais le maintenant dans son principe ;

Attendu que l’ Ordonnance Souveraine n° 13837 du 24 décembre 1998 fixe les nouveaux prix de la valeur locative, dans son article 1er, conformément à la variation du salaire de base, mais que, dans son article 2, elle permet de majorer de 8,5 pour cent à compter du 1er janvier 1999, au titre des mesures de rattrapages spécifiques, les prix de base fixés à l’article 1er ;

Attendu que l’Association des Locataires de Monaco a intérêt et qualité pour demander l’annulation de l’ article de l’Ordonnance n° 13837 , dont les dispositions sont attentatoires aux droits des locataires ;

Attendu que cet article 2 viole l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 qu’elle est censée exécuter ; que cette violation est constituée par l’augmentation de 8,5 pour cent au titre de mesures de rattrapages spécifiques, indépendamment de toute référence au salaire de base ;

Vu la contre-requête du Ministre d’État, enregistrée le 19 mars 1999, tendant au rejet de la requête par les motifs que le mécanisme institué par l’article 15 de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 ne fait pas dépendre la fixation de la valeur locative des logements du seul critère de base ;

Que les deux premiers alinéas de cet article donnent compétence à l’autorité réglementaire pour fixer les prix de base au mètre carré servant à la détermination de la valeur locative des logements, en prenant en compte la rémunération du service rendu par le logement et son maintien en état d’habitabilité ;

Que la détermination du montant du prix de base au mètre carré doit concilier la protection des intérêts des locataires modestes et la protection des intérêts des propriétaires, conciliation reconnue nécessaire par le Tribunal Suprême dans sa décision du 1er février 1994 ;

Que l’alinéa 4 de l’article 14 ne prévoit qu’une hypothèse particulière de modification de la valeur locative, en cas de variation du salaire de base ; Qu’il en est d’autant plus ainsi que l’ article de la loi n° 455 du 27 juin 1947 auquel se réfère l’alinéa 4 de l’article 14 a fait l’objet de plusieurs modifications qui en ont atténué la portée ;

Que c’est par une exacte application des principes posés par l’article 14 de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 que l’Ordonnance attaquée a pu décider dans son article 2 un rattrapage destiné à retrouver l’équilibre, voulu par la loi, entre la protection des intérêts des locataires et celle des intérêts des propriétaires ;

Vu la réplique, enregistrée le 21 avril 1999, de l’Association des Locataires de la Principauté de Monaco, persistant dans les conclusions de la requête, par les motifs que les deux premiers alinéas de l’article 4 de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 ne peuvent être séparés du quatrième alinéa ;

Que ce n’est qu’en cas de variation du salaire de base visé à l’ article de la loi n° 455 du 27 juin 1947 , que peuvent être fixées de nouveaux prix de la valeur locative ;

Que l’État avait lui-même, en réponse à une requête de l’Association des Propriétaires de Monaco contre l’ Ordonnance n° 7000 du 7 janvier 1981 , portant majoration, à compter du 1er janvier 1981, du prix de base au mètre carré servant à la détermination de la valeur locative des locaux à usage d’habitation soumis aux prescriptions de l’Ordonnance- Loi du 17 septembre 1959 , soutenu que cette association n’avait pas fait état d’une violation du dernier alinéa de l’article 14, faisant référence au salaire de base ;

Que le Tribunal Suprême a entériné cette argumentation dans sa décision du 14 octobre 1981 ;

Que la référence à la décision du Tribunal Suprême du 1er février 1994 est paradoxale en ce qu’elle est une décision de rejet du recours présenté par l’Association des propriétaires de Monaco sur le plan constitutionnel contre la loi n° 1159 du 29 décembre 1992 visant à limiter les effets néfastes excessifs pour les locataires de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 ;

Que l’Ordonnance attaquée vise à donner satisfaction aux propriétaires en gardant l’apparence d’un secteur protégé mais en éludant le débat sur la nécessaire conciliation des intérêts des locataires et des propriétaires, qui relève de la responsabilité politique du législateur ;

Que le salaire de base existe toujours et qu’il sert de référence pour révolution des prix de base au mètre carré, comme cela résulte du procès-verbal en date du 25 novembre 1998, de la réunion de la Commission mixte d’étude du problème du logement ;

Vu la duplique, enregistrée le 25 mars 1999, par laquelle le Ministre d’État conclut au rejet de la requête par les motifs que l’article 14 de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 ne fait pas dépendre la fixation de la valeur locative des logements du seul critère du salaire de base ;

Que l’article 14 prévoit deux hypothèses différentes de modification de la valeur locative, l’une régie par les alinéas 1 et 2, l’autre par l’alinéa 4 ;

Que l’interprétation de l’État dans la présente instance n’est pas différente de celle qu’il avait prise dans l’affaire ayant donné lieu à la décision du Tribunal Suprême du 14 octobre 1981 ;

Que la référence à la décision du Tribunal Suprême du 1er février 1994 souligne la nécessaire conciliation entre le droit de propriété et d’autres règles ou principes d’égale valeur ;

Que la disparition du terme « salaire de base » dans la dernière rédaction de l’ article de la loi n° 455 du 27 juin 1947 ne peut qu’être constatée ; que l’existence d’un salaire de base n’est pas de nature à empêcher l’autorité réglementaire de fixer le prix de base au mètre carré en considération de la rémunération du service rendu par le logement et de son maintien en état d’habitabilité comme le prévoit l’ article de l’Ordonnance n° 669 ;

Vu l’Ordonnance attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la loi n° 455 du 25 juin 1947 sur les retraites des salariés ;

Vu l’ Ordonnance n° 77 du 22 septembre 1959 relative au classement et au prix de location des immeubles d’habitation ;

Vu l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiant et codifiant la législation à usage d’habitation, et notamment son article 14 ;

Vu l’ Ordonnance Souveraine n° 2057 du 21 septembre 1959 portant application de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 , modifiée ;

Vu la loi n° 1212 du 29 décembre 1998 portant modification de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d’habitation ;

Vu l’ Ordonnance Constitutionnelle du 29 décembre 1962 ;

Vu l’ Ordonnance Souveraine n° 2984 modifiée du 16 avril 1963 sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l’ Ordonnance du 7 juin 1999 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l’audience du Tribunal Suprême du 1er juillet 1999 ;

Ouï M. Pierre Delvolvé, membre titulaire, en son rapport ;

Ouï Maître Licari, avocat-défenseur, et Maître Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, en leurs observations ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

Considérant que l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiant et codifiant la législation relative aux conditions de location des locaux à usage d’habitation dispose dans son article 14 :

Le classement en diverses catégories des locaux assujettis à la présente Ordonnance-Loi, les prix de base au mètre carré servant à la détermination de la valeur locative ainsi que les coefficients de correction sont fixés par une Ordonnance Souveraine.

Les prix de base mensuels au mètre carré doivent être tels qu’ils assurent, après application des coefficients de correction, la rémunération du service rendu par le logement ainsi que son maintien en état d’habitabilité,…

La valeur locative d’un appartement est égale au produit de la surface corrigée telle qu’elle résulte de Notre Ordonnance n° 77 du 22 septembre 1949 , par le prix de base d’un mètre carré de chacune des catégories de logement prévus à cette même Ordonnance.

En cas de variation du salaire de base visé à l’ article de la loi n° 455 du 27 juin 1947 , une Ordonnance Souveraine fixera les nouveaux prix de la valeur locative : leur date d’application sera fixée au premier jour du trimestre qui suit ladite variation ».

Considérant que l’ Ordonnance Souveraine n° 13837 du 24 décembre 1998 portant majoration, à compter du 1er janvier 1999, des prix de base au mètre carré servant à la détermination de la valeur locative des locaux à usage d’habitation soumis aux prescriptions de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 comporte deux articles ; que son article 1er modifie l’ article de l’Ordonnance Souveraine n° 2057 du 21 septembre 1959 pour fixer à un nouveau niveau les prix de base mensuels au mètre carré servant à la détermination de la valeur locative prévue par l’article 14 de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 , pour chacune des catégories de logements établis par l’ Ordonnance Souveraine du 22 septembre 1949 ; que son article 2 dispose : « Au titre des mesures de rattrapages spécifiques, les prix de base ci-dessus fixés peuvent être majorés à compter du 1er janvier 1999. Ces mesures ne s’appliquant qu’aux locaux relevant encore de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 » ;

Considérant que, pour demander l’annulation de l’article 2 précité, l’association requérante soutient que les dispositions de l’article 14 de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 ne peuvent, dans leur ensemble, permettre à une Ordonnance Souveraine de modifier la valeur locative qu’en cas de variation du salaire de base, et que la majoration autorisée par l’article 2 de l’Ordonnance attaquée est très fortement supérieure à la variation effectivement intervenue ;

Mais considérant que, si l’alinéa 4 de l’article 14 de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 lie la fixation des nouveaux prix de la valeur locative à la variation du salaire de base, il en va différemment des alinéas 1 et 2 du même article ; que l’alinéa 1 prévoit la fixation par Ordonnance Souveraine des prix de base au mètre carré servant à la détermination de la valeur locative ainsi que des coefficients de correction ; que l’alinéa 2 précise que les prix de base mensuels au mètre carré doivent être tels qu’ils assurent, après application des coefficients de correction, la rémunération du service rendu par le logement ainsi que son maintien en état d’habitabilité ; qu’il permet à cette fin de prendre des mesures de rattrapages spécifiques ; que le législateur les a d’ailleurs prises en considération dans les articles et de la loi n° 1212 du 29 décembre 1998 susvisée ; que les dispositions attaquées de l’ article de l’Ordonnance Souveraine du 24 décembre 1998 ont pu ainsi être légalement prises sur le fondement des dispositions des alinéas 1 et 2 de l’article 14 de l’Ordonnance- Loi n° 669 du 17 septembre 1959 ;

Décide :

Article 1er : La requête de l’Association des Locataires de la Principauté de Monaco est rejetée.

Article 2 : Les dépens sont mis à la charge de l’Association des Locataires de la Principauté de Monaco.

Article 3 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.